Sélection de la langue

Recherche

Série L'avenir de la démocratie : Aider les gouvernements à relever les défis de demain (FON1-V20)

Description

Cet enregistrement d'événement porte sur les leçons tirées de la réponse initiale à la pandémie de COVID-19 et sur la manière dont les gouvernements pourraient se servir de celles-ci pour s'attaquer à d'autres enjeux mondiaux.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 01:28:52
Publié : 17 novembre 2022
Type : Vidéo

Événement : Série L'avenir de la démocratie : Aider les gouvernements à relever les défis de demain


Lecture en cours

Série L'avenir de la démocratie : Aider les gouvernements à relever les défis de demain

Transcription | Visionner sur YouTube

Transcription

Transcription : Série L'avenir de la démocratie : Aider les gouvernements à relever les défis de demain

[Le texte suivant s'affiche à l'écran « L'École de la fonction publique du Canada » « et l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l'Université de Toronto » « présentent la série l'Avenir de la démocratie » « Aider les gouvernements à relever les défis de demain ».]

Taki Sarantakis : Si vous vous joignez à nous depuis la région de la capitale nationale, bonjour. Si vous vous joignez à nous à partir d'autres fuseaux horaires du Canada ou d'ailleurs dans le monde, bon après-midi ou bonsoir. Je m'appelle Taki Sarantakis. Je suis président de l'École de la fonction publique du Canada et j'ai l'immense plaisir aujourd'hui de lancer notre toute dernière série d'événements.

Cette série d'événements revêt une importance cruciale pour chacune et chacun d'entre nous, non seulement en tant que fonctionnaires, mais, plus profondément, en tant que citoyennes et citoyens du Canada et d'un pays qui est de moins en moins à l'abri de bon nombre des événements mondiaux qui ont mis en péril la démocratie.

Notre série est présentée en partenariat avec l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l'Université de Toronto, laquelle constitue l'un des meilleurs établissements d'enseignement du Canada.

Nous allons écouter le professeur Peter Loewen, qui, en plus d'être le directeur de l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques, est aussi l'un des plus grands experts universitaires du Canada.

Il fera d'abord une petite présentation d'environ une demi-heure, après laquelle il sera rejoint par la professeure Heidi Tworek, titulaire d'un doctorat de l'Université Harvard, ce qui signifie qu'elle est très, très intelligente. Elle est également professeure à l'un de nos meilleurs établissements du Canada, l'Université de la Colombie-Britannique.

Alors, parlons de la démocratie. Qu'est-ce que la démocratie? Pour certains d'entre nous, la démocratie consiste à exercer son droit de vote. La démocratie et le droit de vote, je veux bien, mais il ne s'agit que d'un élément, et si nous nous limitons à croire que la démocratie correspond au vote, cela signifie que nous avons des responsabilités tous les quatre ou cinq ans seulement. Cependant, nous savons tous que la démocratie, c'est bien plus que cela.

La démocratie touche nos institutions, qu'il s'agisse des écoles, des organismes de réglementation des banques, des tribunaux, des services de police ou des fonctionnaires, tout comme vous.

En fin de compte, la démocratie touche aussi les citoyens, et il est essentiel d'avoir des citoyens informés, des citoyens engagés, pour assurer l'avenir de la démocratie.

En tant que Canadiennes et Canadiens, nous avons été très chanceuses et chanceux au fil des ans. Nous avons pratiquement été en mesure de nous isoler quelque peu de certains des événements survenus sur la scène mondiale. Nous avons été séparés par trois océans. Nous avons été isolés parce que nous partageons notre frontière avec un pays paisible pendant la majeure partie de son existence et qui n'a pas tenté de nous envahir depuis 1812. Nous avons donc tenu beaucoup de choses pour acquises.

En ce qui concerne l'avenir, toutefois, nous constatons que des événements comme la pandémie de COVID-19 mettent en péril la démocratie. Nous constatons aussi que les changements climatiques mettent en péril la démocratie, tout comme la crise énergétique et l'insécurité alimentaire.

Nous devons donc nous demander si nos institutions sont suffisamment solides pour surmonter ces défis. En particulier, quel rôle devons-nous jouer, en tant que fonctionnaires, pour garantir que ces institutions sont prêtes à surmonter les défis auxquels la démocratie, notamment la démocratie canadienne, se heurtera?

Sur ce, je cède la parole au professeur Peter Loewen. Je suis convaincu que vous aimerez son exposé. Nous reviendrons par la suite et je serai accompagné de la Dre Tworek et du Dr Loewen en vue d'avoir une discussion.

À partir de ce moment-là, veuillez commencer à envoyer vos questions, que je recevrai grâce à la magie du cyberespace et que je poserai aux panélistes.

Peter, la parole est à vous, cher ami.

Peter Loewen : Je vous remercie de vous joindre à moi dans le cadre de cette discussion Je m'appelle Peter Loewen. Je suis directeur de l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques. et directeur adjoint de l'Institut Schwartz Reisman pour la technologie et la société, tous deux à l'Université de Toronto.

Mon collègue, Ron Levy, et moi-même avons eu le plaisir d'aider à organiser cette série de présentations sur l'avenir de la démocratie, sur l'avenir des sociétés démocratiques.

La question que je veux explorer aujourd'hui est simple, mais il s'agit d'une question difficile à répondre, ou les réponses que nous obtenons sont difficiles à accepter. Cette question est la suivante : « Les gouvernements peuvent-ils relever leurs défis de demain? »

Bref, les gouvernements ont accompli de très grandes choses par le passé. Ils ont relevé les défis de leur époque. En fait, en un peu plus de cinquante ans, de la fin du XIXe siècle aux années 1950, les gouvernements de la plupart des pays occidentaux ont créé des systèmes de pension complets. Ils ont mis au point des systèmes de prestation de services sociaux, allant de soutiens au revenu aux soins de santé. Ils ont élaboré des systèmes complets d'éducation publique, souvent de la maternelle à la 12e année, jusqu'à l'université.

Aucun de ces systèmes n'était parfait, mais ils ont tout de même permis à sortir des millions de personnes d'une vie d'insécurité et de privation pour leur offrir une vie plus sécuritaire, voire plus digne.

Plus important encore, cette réforme d'information était en grande partie dirigée comme une intervention, en fait, à de grandes tragédies, les principales étant les deux premières grandes guerres. Ces réformes reposaient aussi sur cette croyance selon laquelle les sociétés qui pouvaient livrer une guerre à grande échelle pouvaient aussi bâtir de meilleures sociétés à grande échelle.

Bref, nous avons vu par le passé que les crises ont parfois insufflé la confiance requise pour faire plus et faire mieux à l'avenir. Les gouvernements en ont fait encore plus.

Les gouvernements ont bâti des systèmes d'immigration complets et assuré l'intégration efficace de nouvelles citoyennes et de nouveaux citoyens. Ils ont élaboré des systèmes complexes et relativement efficaces d'imposition pour des sources de revenus multiples.

Ces deux éléments ont été nécessaires à la création des états modernes prospères dont nous profitons aujourd'hui.

Malgré ces réussites, cependant, les gouvernements seront confrontés à des défis encore plus grands dans un avenir rapproché.

À court terme, ils doivent relever le défi de raviver les chaînes commerciales et d'approvisionnement mondiales qui leur rendent service en jugulant l'inflation, et tout cela se produit, bien entendu, dans le spectre de la reprise d'un conflit mondial et de l'effondrement possible de l'ordre libéral international.

À moyen terme, mais dans un avenir pas si lointain, il faudra composer avec les défis de l'adaptation aux changements climatiques, qui toucheront de nombreux aspects de la vie quotidienne, et auxquels il faudra ajouter deux autres défis gigantesques : les répercussions du vieillissement rapide des populations dans pratiquement tous les pays démocratiques, ce qui mènera éventuellement à une désertification au lieu d'une surpopulation mondiale, et les graves menaces au caractère légitime de l'ordre libéral démocratique. En fait, cette série d'exposés porte en grande partie sur la capacité des états démocratiques à l'avenir.

Je peux imaginer une réponse raisonnable à la question de savoir si les gouvernements pourront relever les défis de demain. Bien entendu, me direz-vous, les gouvernements peuvent accomplir de grandes choses. Après tout, au cours des deux dernières années, nous avons réussi à contenir un virus et la maladie qu'il cause, la COVID-19. Nous l'avons fait pendant une longue période. Nous avons évité un grand nombre de décès, élaboré des programmes de soutien au revenu et aux entreprises qui ont effectivement sauvé des économies qui s'effondraient et, nous, les gouvernements, en collaboration avec des entreprises et scientifiques, avons conçu, approuvé, produit et distribué des vaccins à l'échelle mondiale 18 mois après l'émergence du virus, qui se veut un bilan tout à fait remarquable.

En surface, donc, la réponse à la question pourrait bien être que les gouvernements peuvent encore accomplir de grands exploits, bien entendu, et que, oui, les gouvernements doivent donc être prêts à relever les défis de demain.

En fait, je suis d'avis que la pandémie de COVID-19 est exactement le cas d'étude que nous devrions utiliser pour déterminer la capacité des gouvernements démocratiques à relever ces défis futurs.

Voici ce que je ferai pour y arriver. Je vous présenterai cinq éléments différents dont les gouvernements ont besoin, à mon avis, pour pouvoir s'attaquer aux problèmes les plus épineux de demain. Cette liste, sans être exhaustive, est assez complète, et certaines des conditions peuvent être nécessaires, tandis que d'autres peuvent suffirent. Je crois toutefois que nous sommes tous d'accord pour dire que toutes sont pertinentes.

Ensuite, j'examinerai, pour chacun des éléments, certains éléments de preuve sur le rendement des gouvernements à cet égard. J'utiliserai le terme « gouvernements » de façon générale afin de décrire cet ensemble de députés, de fonctionnaires et du cœur des gouvernements, ceux qui travaillent aux organismes connexes et toutes les personnes qui forment un écosystème autour d'eux.

J'examinerai donc chacune des cinq conditions afin d'avoir une idée du rendement des gouvernements par rapport à celles-ci au cours des deux premières années de la pandémie. Pour ce faire, je présenterai des données que des collègues et moi avons recueillies depuis les deux dernières années, c'est-à-dire depuis le début de la pandémie, en mars 2020.

Je présenterai des données sur les réponses des personnes à la COVID-19, sur leurs croyances au sujet de celle-ci, sur les renseignements qu'elles ont consultés à son sujet et sur les médias sociaux. Toutes ces données nous donneront une idée du rendement des gouvernements par rapport à ces cinq conditions.

Enfin, j'expliquerai brièvement comment ces conditions peuvent s'appliquer aux défis de demain, particulièrement l'adaptation aux changements climatiques et l'évolution de la population dans le monde.

Ensuite, nous tiendrons une discussion qu'il me tarde d'avoir et qui nous permettra d'approfondir ces concepts.

Alors, qu'est-ce que les gouvernements doivent être en mesure de faire pour relever les grands défis de demain? Voici une liste partielle, mais longue.

Premièrement, les gouvernements doivent être en mesure d'établir et de maintenir un consensus politique.

Deuxièmement, les gouvernements doivent être en mesure de faire appel à une expertise scientifique adéquatement pratiquée et communiquée; en même temps, les citoyennes et les citoyens doivent faire preuve d'une retenue adéquate à l'égard de l'expertise scientifique.

Troisièmement, il faut soutenir les institutions démocratiques qui s'acquittent des politiques publiques.

Quatrièmement, les citoyennes et les citoyens doivent être suffisamment prosociaux, ou, autrement dit, se soucier des autres.

Cinquièmement, nous devons être en mesure de créer et d'utiliser la technologie, ainsi que d'encourager son adoption.

J'expliquerai maintenant en détail chacune de ces conditions et je parlerai de la façon dont nous les avons vues se développer au début de la pandémie et depuis. Afin d'examiner ces conditions, je présenterai des données uniques et originales que des collègues et moi-même avons recueillies tout au long de la pandémie.

En janvier 2020, mes collègues et moi, à Pearl, mon laboratoire ici à l'Université de Toronto, de concert avec l'Observatoire de l'écosystème médiatique, que j'ai codirigé avec Taylor Owen, de l'Université McGill, avons mené plus de 125 000 entrevues pour enquête auprès d'adultes canadiens, ce qui a donné plus de 50 vagues de données.

Nous avons recueilli des données approfondies sur leurs populations, sur leur lieu de résidence, sur un vaste éventail de questions de comportements et d'attitudes liées à la COVID-19, ainsi que des renseignements détaillés sur leur consommation de médias et leurs préférences politiques.

Nous avons combiné ces données à des renseignements détaillés collectés dans les médias sociaux, y compris tous les gazouillis publiés sur Twitter au Canada depuis 2020, dont plus de 40 millions faisaient référence à la COVID-19. Nous avons collecté tous les billets et les groupes publics sur Facebook liés à la COVID-19 et tout le contenu publié sur Reddit lié à la COVID-19. Nous avons aussi recueilli et analysé l'ensemble de la couverture des médias imprimés sur la COVID-19 au Canada pendant ce temps.

La première question que nous voulons examiner, que nous voulons explorer, est de savoir si les gouvernements peuvent établir un consensus politique sur les défis avec lesquels ils sont aux prises.

L'idée, l'intention fondamentale est la suivante : afin que les gouvernements puissent consacrer leur attention et leurs ressources à un problème pendant une période prolongée, les citoyens doivent convenir avec eux du caractère prioritaire du problème.

Plus les citoyennes et les citoyens sont en accord et plus cet accord est profondément enraciné, plus le gouvernement peut consacrer son attention et son temps à un problème donné.

Les gouvernements sont-ils parvenus à établir un consensus politique sur la COVID‑19? La réponse, depuis les débuts jusqu'à maintenant, selon moi, est un oui retentissant, en fait.

Nous voulions comprendre si la priorité que représentait la gestion de la pandémie de COVID-19 dès le début faisait l'objet d'un vaste consensus politique. Au début de la pandémie, en mars et en avril 2020, nous avons examiné le comportement de recherche de personnes dans Internet au moyen de données de Google accessibles au public. L'idée fondamentale ici, c'est que ces recherches dans Internet reflètent nos inquiétudes ou des choses qui nous tiennent à cœur. C'est pourquoi le nombre de recherches de cadeaux de Noël augmente en novembre ou est considérablement plus faible en janvier, par exemple, ou pourquoi les recherches sur les symptômes de la grippe sont plus nombreuses pendant la saison grippale.

[Un graphique montant des données de recherche dans Internet s'affiche.]

Mais, qu'avons-nous trouvé quand nous avons examiné le comportement de recherche des gens en ce qui concerne la COVID-19? En fait, nous avons constaté que toutes les catégories de personnes, qu'elles habitent dans une région très conservatrice ou très libérale, avaient de grandes inquiétudes en ce qui concerne la COVID-19, comme l'ont montré leurs recherches dans Google.

[Deux graphiques montant des données de recherche dans Internet s'affichent.]

Les Canadiennes et les Canadiens qui habitent dans des régions plus riches en ont appris davantage sur la COVID-19 dès le début, tout comme les personnes qui habitaient dans des régions plus urbaines; nous avons constaté ce genre de différences, mais n'en avons constaté aucune sur le plan politique.

[Un graphique montrant des données sur les politiciens dans les médias sociaux s'affichent.]

Lorsque nous avons examiné ce dont les politiciennes et les politiciens parlaient dans les médias sociaux au début de la pandémie, nous avons constaté qu'on demanderait remarquablement orienté sur la COVID-19 et qu'on restait très longtemps sur ce sujet, sans égard à leur position dans le spectre politique.

Au début de la pandémie, les politiciennes et les politiciens et les citoyennes et les citoyens étaient tous concentrés sur la priorité de la COVID-19. Nous sommes allés un peu plus loin afin de comprendre si les citoyennes et les citoyens et les politiciennes et les politiciens s'entendaient sur la façon d'intervenir face à la COVID-19 d'un point de vue stratégique au cours des mois suivant l'émergence du virus. Nous avons exploré cet élément plus tard, dans une étude menée simultanément auprès de plus de 11 000 citoyens et 1 000 politiciens des trois ordres de gouvernement. Nous l'avons menée de mai à octobre 2020.

Dans le cadre de cette étude, nous avons comparé les préférences des politiciennes et des politiciens et citoyennes et des citoyens quant aux compromis qu'ils étaient prêts à faire pour contenir la COVID-19.

Mais voilà, comment peut-on déterminer les compromis que les gens sont prêts à faire? Pour y parvenir, nous avons présenté aux répondantes et aux répondants deux scénarios ayant différentes combinaisons de fermetures parmi lesquelles choisir et qui donnaient lieu à différents niveaux de décès attribuables à la COVID-19.

Ainsi, dans une combinaison, les écoles étaient fermées, tandis qu'elles ne l'étaient pas dans une autre, ce qui donnait différents niveaux de décès correspondants.

Ce sont là des sujets macabres, je le reconnais, mais, en toute honnêteté, il s'agit exactement du genre de compromis que l'on demandait aux gouvernements de faire et aux citoyennes et citoyens d'accepter.

Alors, qu'avons-nous trouvé? Nous avons découvert que ces préférences multidimensionnelles des politiciens étaient étonnamment similaires à celles des citoyennes et citoyens, ce qui est remarquable. En fait, lorsque nous les examinons, nous concluons que les citoyennes et citoyens étaient d'accord avec l'utilisation du suivi de téléphones cellulaires, avec les fermetures d'entreprises et de services gouvernementaux, avec le niveau de soutien au revenu que le gouvernement devrait fournir aux citoyennes et citoyens, avec les limites pour les rassemblements et avec la nécessité d'obtenir une permission écrite pour quitter son domicile, ce qui était une mesure imposée dans d'autres pays, mais pas au Canada.

Le seul aspect où nous avons constaté un désaccord était la question de la fermeture des écoles : les politiciens étaient moins chauds à cette idée que le grand public. Même dans cet exemple, les politiciennes et les politiciens avaient les mêmes opinions que les parents.

Il y a donc, selon moi, deux éléments importants à retenir ici. Premièrement, cet alignement entre les politiciennes et politiciens et les citoyennes et citoyens a été constaté chez des représentants des trois ordres de gouvernement. Il était donc très profond.

Deuxièmement, les ensembles de politiques qui ont suscité l'accord le plus grand étaient ceux qui suivaient de près ce qui était réellement fait au Canada.

D'autres pays ont adopté des approches très différentes pour gérer la pandémie. Certains ont imposé des confinements extrêmes, tandis que d'autres ont préconisé une approche très laxiste. On peut débattre du bien-fondé de ces différentes approches, mais il en ressort clairement que l'approche adoptée au Canada, à moyen terme, du moins, ressemblait à celle que les citoyennes et citoyens voulaient que les gouvernements adoptent. À nos yeux, il s'agit d'une preuve de l'établissement et du maintien d'un consensus politique à l'échelle du pays.

La deuxième condition pour réussir à relever les grands défis est l'utilisation et le déploiement efficaces de l'expertise scientifique.

La pandémie de COVID-19 a mis à l'avant-plan nos scientifiques et experts en élaboration de politiques, ce qui est remarquable. Des tables scientifiques communiquaient directement avec le public afin d'expliquer les ensembles de fermetures qu'elles recommandaient, par exemple. Des séances d'information sur l'évolution du virus et sur le genre d'intervention générale face à la pandémie étaient tenues quotidiennement. Au début de l'année 2021, au moment où les vaccins étaient déployés, les communications sur la couverture vaccinale étaient nombreuses.

Pour expliquer cette condition, je vous présenterai des renseignements sur ce que nous avons constaté dans la réponse du public à l'expertise scientifique et aux conseils scientifiques donnés pendant la pandémie.

Je parlerai d'abord des vaccins. Revenons 18 mois en arrière, au début de la période où nous déployions les vaccins. Vous vous souviendrez de certains éléments sur cette période. Premièrement, trois vaccins, puis un quatrième, ont été approuvés au Canada, ceux mis au point par Pfizer, Moderna, AstraZeneca, et Johnson & Johnson. Vous vous souviendrez peut-être aussi que l'innocuité différente de ces vaccins, en particulier celui d'AstraZeneca, a fait l'objet d'un débat et de discussions publiques.

Mon collègue Erik Merkley et moi nous sommes appuyés sur le fait qu'essentiellement, les conseils d'experts évoluaient en ce qui concerne ces vaccins. Nous nous sommes fondés sur ce fait afin d'examiner les réponses des citoyennes et des citoyens à cet égard et de déterminer si la façon dont elles et ils ont absorbé cette information donnait à penser qu'elles et ils savaient traiter l'information scientifique ou si elles et ils ignoraient comment rajuster adéquatement leur comportement à la lumière de l'information scientifique.

[Trois graphiques montrant les perceptions du public à l'égard des marques de vaccin s'affichent.]

En gros, la volonté des Canadiennes et des Canadiens à prendre le vaccin mis au point par AstraZeneca était de dix points de pourcentage inférieure à leur volonté de recevoir celui mis au point par Pfizer au départ. Quelques semaines plus tard, toutefois, une communication sur d'éventuelles complications causées par le vaccin d'AstraZeneca, qui touchaient en fait une proportion infime de la population, la volonté de recevoir ce vaccin, s'il était offert, a chuté à 65 % de la population.

Cela s'explique par le fait que les opinions des gens à l'égard des vaccins reposaient précédemment sur des préoccupations entourant l'efficacité et le rendement du vaccin. Dans le cas d'AstraZeneca, toutefois, ces préoccupations sont devenues de plus en plus orientées sur son innocuité.

Plus important, les personnes qui ont compris que le vaccin mis au point par AstraZeneca n'était pas sécuritaire étaient celles qui étaient plus âgées et plus susceptibles d'écouter les experts scientifiques, celles qui croyaient que la COVID-19 représentait une menace plus grave, celles qui appuyaient généralement les vaccins, celles qui suivaient l'actualité liée à la COVID-19 et celles qui avaient l'intention de se faire vacciner. Autrement dit, toutes les personnes qui se remettent à l'expertise scientifique sont celles qui, en fait, ont mal interprété cette communication scientifique sur l'innocuité du vaccin mis au point par AstraZeneca.

Je vois cela, injustement ou pas, ou comme une bonne ou mauvaise nouvelle, comme une indication que nous n'avons pas très bien songé à la façon de communiquer sur l'innocuité et l'efficacité ou sur les préoccupations avec un public qui écoutait les experts scientifiques et qui voulait suivre leurs conseils.

On trouve ici cette idée plus générale de l'anti-intellectualisme, ou une aversion à l'expertise, et Eric Merkley et moi avons exploré en profondeur ce sujet, sur lequel je vous donnerai des renseignements supplémentaires.

Au début de la pandémie, vous vous souvenez peut-être que nous ne portions pas le masque, que la proportion de Canadiennes et Canadiens qui déclaraient avoir porté un masque au cours de la dernière semaine, au début de la pandémie, soit à la mi-avril environ, n'était que de 20 %.

[Un graphique qui présente des données sur le port du masque et l'anti-intellectualisme s'affiche.]

Ensuite, des recommandations officielles en faveur du masque ont commencé à devenir publiques, et que s'est-il passé après? Les personnes qui n'étaient pas très anti-intellectualistes et qui affichaient une confiance solide à l'égard des experts scientifiques ont quadruplé leur taux de port du masque en six semaines environ, de 20 % à 80 %.

Chez les gens qui étaient très anti-intellectualistes ou qui ne faisaient pas confiance aux experts scientifiques, la proportion de ceux qui portaient le masque est passée de 20 % à 40 %. La proportion a augmenté, certes, mais pas autant que celle des personnes qui s'en remettaient aux experts.

Il s'agissait probablement, au début, de la façon la plus efficace de se protéger tout en vivant la vie la plus normale possible.

[Un graphique présentant des données sur le port du masque et l'idéologie politique s'affiche.]

Cette différence dans la volonté de porter le masque n'était pas un enjeu politique à ce moment-là, et c'est l'aspect le plus important. Lorsque l'on examine le lien avec les préférences politiques des gens, on ne constate aucune relation au fil du temps.

On trouvait toutefois un groupe de Canadiennes et de Canadiens, et on trouve ce genre de groupe à de nombreux endroits, un groupe relativement petit, mais qui n'allait pas s'en remettre aux experts et qui a réagi de manière considérablement différente à la façon dont l'information était communiquée. Le taux de port du masque a effectivement doublé chez ces personnes. Il n'a tout simplement pas quadruplé. Il est donc important de se demander ce qui les a menés à le faire, parce qu'ils ne l'ont pas fait par respect pour l'expertise scientifique.

Cependant, il s'agit d'une perspective étroite sur le rôle de la science dans la pandémie de COVID-19. Bien entendu, on a vu la science être déployée très efficacement de nombreuses autres façons. Des personnes de toutes les disciplines ont été réunies afin de créer des tables scientifiques qui fournissaient sans crainte de bons conseils aux fonctionnaires; toutefois, il y avait en fait du travail à faire au chapitre de la communication entre l'expertise scientifique et les citoyennes et citoyens.

La troisième condition qui permet aux gouvernements de relever de grands défis est de s'assurer que les citoyennes et citoyens continuent d'appuyer les institutions démocratiques qui génèrent les réponses et les solutions qu'ils présentent.

Permettez-moi de vous présenter deux données qui, selon moi, donnent à penser que nous avons très bien maintenu l'appui aux institutions démocratiques pendant la pandémie, en fait, particulièrement au début.

Premièrement, la COVID-19 s'est déployée, ou, en d'autres termes, est parvenue à notre conscience, en mars 2020. À ce moment-là, des collègues et moi étions en fait sur le terrain dans plusieurs pays européens, en train d'interroger des citoyennes et citoyens de ces pays, de mener des entrevues de sondage pour obtenir leurs opinions sur certaines questions politiques.

Nous leur demandions notamment s'ils étaient satisfaits de la démocratie, s'ils avaient un niveau de confiance élevé à l'égard du gouvernement, s'ils appuyaient leur premier ministre ou le parti au pouvoir, des questions de recherche très standard quoi.

Bon nombre de nos entrevues ont été menées tout juste avant les « confinements », ce qui a donné lieu à une expérience naturelle qui nous permettait de comprendre si le fait que les citoyennes et citoyens voient leur gouvernement imposer des confinements augmentait ou diminuait l'appui aux institutions politiques.


[Un graphique présentant des données sur le niveau de satisfaction à l'égard des interventions des gouvernements face à la pandémie s'affiche.]

Nous avons conclu que dans les pays qui ont imposé un « confinement » en mars 2020, les citoyennes et citoyens affichaient un niveau de satisfaction plus élevé à l'égard de la démocratie, un niveau de confiance plus élevé à l'égard du gouvernement et un appui plus important au parti au pouvoir.

Pour nous, cela prouve très bien que les gouvernements peuvent bel et bien, non seulement attirer un soutien à leur égard principalement, mais aussi à l'égard des institutions politiques par l'intermédiaire desquelles ils mènent leurs activités quand ils prennent des mesures décisives dans l'intérêt des citoyennes et citoyens pour relever un grand défi.

[Un graphique présentant des données sur le niveau de satisfaction à l'égard des interventions face à la pandémie des gouvernements provinciaux s'affiche.]

Deuxièmement, si nous posons seulement des questions sur le taux d'approbation net des citoyennes et citoyens ou sur l'approbation des citoyennes et citoyens à l'égard de la gestion du gouvernement, pas une gestion partisane, mais la gestion de la pandémie au Canada par le gouvernement jusqu'à la moitié de l'année 2021, chaque gouvernement au Canada obtient une évaluation plus positive que négative de sa gestion de la pandémie au Canada.

Le niveau de confiance des citoyennes et citoyens à l'égard du gouvernement a été remarquablement élevé au cours des deux dernières années pendant la pandémie, ce qui donne à penser qu'à long terme, non seulement pendant les premiers confinements, mais aussi plus loin dans la pandémie, l'effort concerté que les gouvernements ont déployé et l'attention à la concentration qu'ils ont portée à la COVID-19 ont suscité un appui des citoyennes et citoyens aux institutions mêmes qui soutiennent ces gouvernements.

La quatrième condition pour relever de grands défis est réellement liée aux citoyennes et citoyens : pour relever efficacement les grands défis, ceux-ci doivent être motivés, non seulement par leur intérêt personnel, mais aussi par le bien d'autrui.

Bon nombre de ces défis sont de nature sociale et ils exigent que les gens soient prêts à se sacrifier pour autrui. Ils exigent un sentiment d'appartenance, d'obligation, d'unité. Bref, ils exigent de faire preuve de prosocialité, le terme sophistiqué qu'emploient les chercheurs.

Nous l'avons trouvé dans deux études menées au cours de la pandémie. La première était une étude que des collègues et moi avons menée dans 13 pays afin d'examiner les préférences des gens quant à ceux qui devraient recevoir un vaccin en priorité.

[Un graphique présentant des données sur la hiérarchisation de l'attribution des vaccins s'affiche.]

Cette étude a été menée à un moment où pratiquement personne n'était vacciné dans ces 13 pays, mais les vaccins commençaient à être administrés et les gens s'empressaient de faire la file, au sens figuré, pour obtenir des vaccins et tout le monde en voulait un.

Nous avons donc demandé à des citoyennes et des citoyens de ces 13 pays qui devrait recevoir le vaccin en priorité à leur avis. Nous leur avons présenté simultanément deux personnes, dont l'âge, le revenu, le type de travail, la vulnérabilité à la maladie, c'est-à-dire s'ils sont immunosupprimés, étaient différents.

[Trois graphiques présentant des données sur la hiérarchisation de l'attribution des vaccins s'affichent.]

Nous avons constaté, et c'est très encourageant, que, dans tous les endroits que nous avons examinés, les citoyennes et les citoyens étaient prêts à accorder la priorité, non seulement aux personnes âgées, aux aînés et aux personnes immunosupprimées, mais qu'ils étaient aussi prêts à aller plus loin que le gouvernement et à accorder la priorité aux personnes qui travaillaient dans les industries des services et dans les usines, aux enseignants, aux personnes qui aident les personnes âgées et aux livreurs.

En résumé, même en plein cœur de la pandémie, lorsque les vaccins commençaient à arriver, les gens étaient prêts à s'effacer devant d'autres personnes s'ils croyaient qu'elles en avaient davantage besoin qu'eux.

[Un extrait d'un rapport sur l'aide fournie par le gouvernement pendant la pandémie de COVID-19 s'affiche.]

La deuxième étude sur la prosocialité que nous avons examinée portait sur le soutien au revenu pendant la pandémie. Habituellement, la conclusion fondamentale en ce qui concerne le soutien au revenu est que les citoyennes et les citoyens accordent une grande importance au mérite quand elles et ils songent aux personnes qui devraient recevoir un revenu du gouvernement.

Autrement dit, elles et ils accordent une grande importance à leur perception selon laquelle ces personnes ont travaillé avec acharnement, ont été malchanceuses ou ont eu des revenus inférieurs.

Toutefois, lorsqu'il est question de personnes qui auraient dû obtenir les soutiens au revenu liés à la COVID-19, les répondantes et les répondants ont adopté une approche beaucoup plus – les Canadiennes et les Canadiens avaient des perspectives plus générales et plus généreuses en ce qui concerne les personnes qui devraient recevoir un soutien au revenu.

Les gens n'accordaient de l'importance qu'au revenu des personnes à ce moment-là, et pas à ce qu'ils gagnaient avant, ce qui est très différent de ce qui ressort d'autres études sur le soutien au revenu extérieures au contexte de la pandémie.

Il faut retenir ici que la prosocialité que les Canadiennes et les Canadiens affichaient, cette volonté de se sacrifier pour le bien des autres, ne s'appliquait pas seulement à leur volonté de renoncer aux interactions sociales et de respecter les consignes de distanciation physique, d'éviter les rassemblements et les fêtes d'anniversaires, entre autres, auxquels elles et ils auraient participé autrement. Cette prosocialité ne s'appliquait pas non plus seulement à leur volonté d'accorder la priorité à certaines personnes pour recevoir le vaccin en premier; elle s'étendait jusqu'à leur idée des personnes qui méritaient un soutien du gouvernement pendant la pandémie.

La dernière condition à laquelle je veux que nous réfléchissions est la capacité du gouvernement d'utiliser efficacement la technologie pour relever un défi de taille.

Nous avons mis au point des systèmes technologiques remarquables dans notre société actuelle. Ces systèmes sont tous axés efficacement sur les outils de communication, comme les ordinateurs et les téléphones. Ces appareils nous ont transformés en machines génératrices de données, à un point où nous créons constamment des données qui en disent à notre sujet, au sujet du monde et des milieux dans lesquels nous menons nos activités. Nous nous sommes développés en même temps et nous améliorons constamment des outils d'une puissance remarquable qui nous permettent d'analyser des données.

Toutefois, deux conditions doivent être réunies pour utiliser efficacement ces outils dans l'intérêt du public. Premièrement, les gens doivent être prêts à utiliser la technologie dans l'intérêt du public et prêts à soutenir une utilisation adéquate et ambitieuse des données.

La technologie nous a-t-elle été d'une grande aide pendant la pandémie? Sans vouloir en faire une question politique, parce que ce n'est pas de cela qu'il s'agit, en réalité, on pourrait simplement dire que la technologie n'a pas eu le même effet que le genre de travail de force brute généré par les confinements.

Nous avons eu l'application Alerte COVID, par exemple, qui n'a pas été adoptée à grande échelle et qui, par sa conception, privilégiait la vie privée au détriment d'une diffusion généralisée d'information sur l'exposition au virus.

En fin de compte, l'application n'a pas été assez populaire pour offrir les avantages pour la santé à l'échelle de la population que nous espérions qu'elle puisse offrir, mais, pourquoi? C'est ce que nous avons examiné dans cette recherche commanditée par l'Institut Schwartz Reisman et la Fondation Rockefeller et nous avons conclu que la volonté des personnes d'utiliser l'application était largement fonction de deux choses.

Premièrement, il y a la conviction selon laquelle le gouvernement pouvait efficacement utiliser la technologie. Ici, les citoyennes et citoyens devaient réellement choisir entre la question de savoir si elles et ils pensent que le gouvernement devrait avoir accès à leurs données et ce quelles et ils pensent que le gouvernement peut faire avec ces données.

Deuxièmement, on trouvait une croyance, non pas à l'égard du gouvernement, mais à l'égard d'autrui. Les gens croyaient que les autres seraient aussi prêts à utiliser – à laisser le gouvernement utiliser la technologie pour tenter de résoudre un problème de taille.

[Un graphique présentant l'adoption d'une application mobile s'affiche.]

Nous avons en fait constaté que parmi les personnes qui croyaient que le gouvernement peut utiliser les données et la technologie à bon escient, le taux d'adoption hypothétique d'une application, comme une application d'alerte, passe d'environ 40 % lorsque celles-ci ne croient pas que les autres l'utiliseront jusqu'à 80 % si elles croient qu'un nombre égal de personnes utilisera probablement aussi l'application.

Pour cela, il faut toutefois que les personnes croient que le gouvernement peut utiliser efficacement la technologie.

En ce qui concerne cette mesure, donc, plus que pour toute autre mesure prise pendant la pandémie, il y a peut-être eu une lacune au chapitre de l'imagination et de la mise en œuvre.

En somme, selon des données objectives, le Canada s'est mieux tiré de la pandémie que la moyenne et il l'a fait parce qu'il a bâti et maintenu un consensus politique, car, à tout le moins, les citoyennes et les citoyens étaient prêts à respecter les conseils d'experts et prêts à penser à autrui et pas seulement à elles et eux-mêmes, et parce que le soutien aux institutions démocratiques a été maintenu tout au long de la pandémie.

En ce qui concerne la fiche de rendement sur le plan technologique, nous avons peut-être eu un rendement inférieur; cependant, tous ces éléments n'ont pas mené à un rendement stellaire, mais nous nous situons de façon générale au milieu du peloton. Selon moi, cela peut donner à penser que pour relever de grands défis, le fait de répondre à ces conditions correspond à peu près à la moindre des choses que les sociétés démocratiques doivent faire.

Pour conclure, je ferai part de quatre réflexions sur les défis futurs et sur le genre d'application de ces conditions aux futurs défis, et nous en discuterons ensuite.

Premièrement, les défis futurs sont aussi scientifiques et naturels que sociaux.

Permettez-moi de vous l'expliquer en prenant l'exemple des changements climatiques. Les changements climatiques représentent réellement un défi existentiel, mais cela n'est pas immédiatement évident, tout comme les solutions à ceux-ci. Afin d'être poussé à lutter contre les changements climatiques, il faut croire les affirmations scientifiques sur l'avenir. Il ne s'agit pas ici de créer un système de soins de santé, de pension ou de soutien au revenu qui gère des problèmes dont la plupart se font déjà sentir.

Premièrement, l'un des éléments fondamentaux pour relever ces défis futurs, qui sont beaucoup plus ancrés dans la science que nos défis antérieurs, consiste à maintenir une expertise de confiance sur la nature du problème et ses solutions.

Deuxièmement, ces défis futurs avec lesquels nous serons aux prises se recoupent tous, les pressions exercées par les migrations, les changements climatiques, une base de population active qui s'effrite. Certains de ces défis allégeront la pression les uns sur les autres.

La baisse de la population atténue quelque peu la pression des changements climatiques et, heureusement, la pression de l'immigration; toutefois, d'autres problèmes s'aggraveront les uns les autres de façons très difficiles.

Troisièmement, les organisations que nous créons dans le monde sont de plus en plus complexes, plus importantes et plus difficiles à gérer et on ignore si le secteur public y gagne, puisque la simple gestion de ces grandes organisations exige du temps, et que le temps consacré à l'interne n'est pas consacré à l'externe.

Il s'agit d'une façon sophistiquée de dire qu'il est tout à fait approprié de se demander si le gouvernement a la bonne taille et le bon format pour relever ces futurs défis.

Quatrièmement, les enjeux n'ont jamais été aussi élevés parce que l'avenir des sociétés démocratiques dépend en grande partie de leur capacité de surclasser les non-démocraties sur ces futurs défis.

Je vous remercie.

Taki Sarantakis : D'accord, merci beaucoup. Peter, quel exposé de longue haleine vous avez fait!

Il y a là beaucoup de matière à digérer, beaucoup d'éléments auxquels songer et beaucoup à aborder dans le cadre de notre discussion au cours des 45 à 50 prochaines minutes environ.

Nous avons environ mille personnes en ligne aujourd'hui, ce qui vous donne une petite idée de l'importance que les gens accordent à ce sujet.

Nous allons maintenant inviter la Dre Heidi Tworek à se joindre à la discussion. Comme je l'ai indiqué au début, elle est professeure à l'Université de la Colombie-Britannique et experte en relations internationales.

Donc, la majeure partie de l'exposé de Peter se situait dans un contexte canadien, quoique cela soit évidemment très lié à ce qui se passe dans le reste du monde.

Heidi, nous commencerons peut-être – je suis désolé, je connais très bien Peter, donc je le tutoie. Professeure Tworek, puis-je vous appeler Heidi pendant les 55 prochaines minutes, même si nous venons à peine de nous rencontrer?

Heidi Tworek : Bien sûr.

Taki Sarantakis : Merveilleux. Merci. Heidi parlera donc de ce dont Peter a discuté dans le contexte du reste du monde. Ensuite, comme je l'ai mentionné plus tôt, commencez à envoyer vos questions, qui nous seront acheminées et que nous regrouperons en coulisse, ce qui nous permettra de commencer à poser certaines de vos questions les plus populaires. Entretemps, j'essaierai du mieux que je peux de maintenir la discussion jusqu'à ce que vous posiez vos questions.

Heidi, la parole est à vous. En plus d'être professeure à l'Université de la Colombie-Britannique, alors que nous parlons de relations internationales, vous vous joignez à nous en fait de Washington, D.C., aujourd'hui.

J'aimerais que vous me fassiez part de vos premières réflexions sur ce que Peter a dit en ajoutant peut-être, par exemple, une touche ou une optique internationale à certains de ces sujets.

Heidi Tworek : Bien sûr, je serai ravie de le faire. Merci beaucoup de m'avoir invitée afin de réagir à l'exposé de Peter que je crois incroyablement utile, qui expose très clairement certaines des façons dont nous devons tirer des enseignements de la pandémie de COVID-19 pour le Canada en particulier.

Au cours des premiers mois de la pandémie, je travaillais déjà sur la question des communications pendant les pandémies, à la fois d'un point de vue historique et de politique contemporaine.

En tant que personne travaillant dans le domaine des affaires internationales, j'ai intégré une équipe afin d'examiner les communications sur la COVID-19 au cours des six premiers mois de la pandémie dans neuf démocraties du monde, parce que nous voulions tous réellement savoir à quoi ressemblaient des communications démocratiques sur la santé pendant la pandémie.

Nous avons donc examiné le Canada à l'échelle fédérale, puis la Colombie-Britannique et l'Ontario. Nous avons examiné le Sénégal, la Nouvelle-Zélande, Taïwan, la Corée du Sud, l'Allemagne, la Norvège, la Suède et le Danemark, ce qui représente un éventail complet de démocraties différentes à l'échelle mondiale.

L'un des points les plus importants que je tiens à faire ressortir, c'est qu'il est très important pour le Canada, à l'heure actuelle et à l'avenir, d'acquérir une compréhension internationale afin de savoir ce que d'autres pays, particulièrement les démocraties, ont fait pendant la pandémie, et comment ils sont parvenus à communiquer, car le Canada a beaucoup à apprendre de certains de ces pays, particulièrement la Nouvelle-Zélande, Taïwan et la Corée du Sud à mon avis.

Je présenterai donc quelques-unes de ces leçons qui étaient évidemment propres à la COVID-19 à ce moment-là, mais qui, à mon avis, s'appliquent aussi à des défis comme les changements climatiques.

Donc, avec cette équipe, nous avons consulté les documents originaux dans toutes ces différentes langues afin de se faire une bonne idée de la façon dont la COVID-19 a été communiquée et des réponses générales de la population. Ce travail nous a permis de dégager les cinq principes « RAPID » de la façon de communiquer au sujet d'une pandémie.

Le premier principe, représenté par la lettre « R », impliquait de compter sur l'autonomie et pas sur les ordres.

Dans de nombreux cas, un confinement était malheureusement un signe d'échec, un signe que le gouvernement ne s'était pas amplement préparé au préalable pour communiquer avec ses citoyennes et ses citoyens sur la façon de se protéger le plus possible. Il fallait donc compter sur l'autonomie, autant que possible, tenter d'éviter les confinements et expliquer aux citoyennes et aux citoyens comment se protéger, ce que nous avons vu beaucoup, notamment, dans les communications initiales de la Colombie-Britannique sur la pandémie.

Le deuxième principe, représenté par la lettre « A », est de s'occuper des émotions et des valeurs, en présentant des renseignements purement scientifiques.

Nous avons donc vu, par exemple, la première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, participer à des événements Facebook Live et inviter une panoplie de personnes afin de parler, non seulement de ce que les gens devraient faire, mais aussi de leurs sentiments par rapport à ce qu'ils devaient faire. Il s'agissait d'une façon de continuer de les faire participer, et de communiquer, comme Peter l'a dit, ce genre de types d'émotions prosociales.

Le troisième principe, représenté par la lettre « P », était de mobiliser les citoyennes et les citoyens à l'égard de la société civile, de savoir comment joindre des citoyennes et des citoyens qui étaient sceptiques à l'égard du gouvernement en faisant participer le genre de personnes qu'ils écouteraient.

Dans le cas du Sénégal, par exemple, qui est un pays assez religieux, formé à 95 % de musulmans, dès le début, le gouvernement s'est assuré d'inclure les imams et les prêtres pour les 5 % des habitants du pays qui sont chrétiens et de montrer qu'ils prenaient toutes sortes de précautions pour lutter contre la COVID-19, car il savait que les communications du gouvernement ne suffiraient pas à elles seules à mobiliser les gens, mais ils avaient préparé ces réseaux au préalable. Ils savaient quelles étaient les personnes des communautés qu'ils devaient faire participer.

Le quatrième principe, représenté par la lettre « I », était l'institutionnalisation des communications, afin de s'assurer de disposer d'un nombre suffisant de ressources pour communiquer dès le départ.

Nous l'avons surtout constaté dans des pays comme Taïwan et la Corée du Sud. Ces deux pays avaient tous deux des expériences très récentes de pandémie, qu'il s'agisse du début des années 2001, avec le SRAS 1, à Taïwan, ou de l'éclosion du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRMO) en 2015 en Corée du Sud.

Dans les deux cas, les choses ne se sont pas très bien passées pour ces deux pays : la machine à rumeurs s'emballait, les règles n'étaient pratiquement pas respectées, entre autres. Après ces crises, ces deux pays ont examiné attentivement ce qu'ils avaient en matière de préparation liée à la santé et ils ont complètement réformé leurs institutions en les axant sur les pandémies.

Ils sont entre autres réellement intégrés les communications en tant qu'aspect clé de ce qui devait se passer en cas de pandémie. Ainsi, quand la COVID-19 a fait son apparition, il y avait déjà un grand nombre de personnes prêtes à communiquer sur le plus de canaux possible et ces pays étaient prêts d'une manière dont de nombreux autres ne l'étaient pas nécessairement, parce qu'ils ne disposaient pas de ce grand groupe de personnes prêtes à communiquer sur la pandémie.

Donc, le taux si élevé de respect des consignes relatives au port du masque, par exemple, n'était pas vraiment lié à la culture du masque, mais beaucoup plus à ces institutions de communication impressionnantes. Il y a beaucoup à apprendre, selon moi, de la façon dont ces institutions ont été réformées. Il y a beaucoup de matière à réflexion là pour des pays comme le Canada pour l'avenir.

Le cinquième principe, représenté par la lettre « D» , est de songer à la façon de communiquer de façon démocratique sur les événements en cours.

Nous avons même vu un recours très prudent aux métaphores. Donc, en Corée du Sud, par exemple, le président en parlait comme une course à relais, c'est-à-dire qu'il fallait continuer d'avancer et de passer le témoin au prochain citoyen. Jacinda Ardern parlait d'une équipe de cinq millions. Ce sont donc toutes ces communications en vue de faire ressortir cet élément prosocial que Peter a mentionné dans son exposé.


Je crois donc que ce que nous tentons de faire, dans ce rapport, c'est de cerner toutes ces leçons sur ce que signifiait exactement le fait d'avoir des communications démocratiques sur la santé afin de suggérer certaines des façons dont des pays comme le Canada peuvent les intégrer. Je crois que certaines leçons se sont produites au Canada, certaines pourraient se produire encore à l'avenir. Et je crois sans aucun doute que nous pourrions nous inspirer de certaines leçons pour relever d'autres défis comme les changements climatiques également.

Taki Sarantakis : Absolument. Merci, Heidi.

Heidi, vous avez parlé de cinq principes. Je crois que Peter présentait cinq conditions. De toute évidence, dans le milieu universitaire, vous travaillez par groupes de cinq. Dans la fonction publique, nous travaillons par groupes de trois, parce que nous ne sommes pas aussi brillants que vous et que les deux derniers éléments sont vraiment difficiles pour nous. Alors, en travaillant par groupe de trois, si je devais résumer l'exposé de Peter en trois éléments, je le ferais comme suit.

Je dirais que le premier élément est la confiance, le second, la capacité, et le troisième, la légitimité.

J'aimerais explorer un peu chacun de ces éléments avec vous. Peut-être pourriez-vous nous parler un peu de la confiance, parce que la démocratie – je ne veux pas dire qu'elle est en péril, mais la démocratie vit des temps difficiles partout dans le coin du monde et ce problème est en partie lié à la confiance : puis-je faire confiance aux personnes qui travaillent au sein de nos institutions, qui dirigent nos institutions et qui incarnent nos institutions mêmes? En fait, ces personnes travaillent-elles pour nous, la population et les citoyens, ou travaillent-elles pour elles-mêmes et pour le système? Ou pourquoi travaillent-elles?

Vous pourriez peut-être d'abord nous faire part de quelques réflexions sur la confiance à l'égard de la démocratie et sur l'importance de la confiance à l'égard du processus démocratique.

Heidi Tworek : Oui, je suis ravie que vous ayez choisi le sujet de la confiance, car, en fait, certaines études semblent indiquer que plus les citoyennes et les citoyens avaient un niveau de confiance élevé à l'égard de leurs gouvernements, plus elles et ils respectaient les règles liées à la COVID-19. Ces pays ont même mieux fait en général parce que les genres de choses dont ils pouvaient s'attendre à ce que leurs citoyennes et citoyens fassent étaient peut-être celles qu'un plus grand nombre d'entre eux étaient en fait prêts à faire. Ce genre de rapprochement dont Peter parlait tend à être plus élevé dans les pays où le niveau de confiance est élevé.

La question est donc de savoir comment bâtir et maintenir cette confiance. À mon avis, l'une des très bonnes nouvelles qui sont ressorties de la pandémie est que nous parlions depuis très longtemps des déficits de confiance. On pouvait voir et mesurer depuis les années soixante-dix que la confiance à l'égard des gouvernements et des institutions démocratiques baissait considérablement et, pourtant, quand la COVID-19 a frappé, nous avons vu des niveaux extraordinaires de respect, même dans des endroits où l'on ne s'y attendait pas, comme aux États-Unis. Quand on examine les premières enquêtes, au moins de mars, d'avril et de mai 2020, on constate un intérêt extraordinaire à tenter de protéger d'autres citoyennes et citoyens à tenter de comprendre ce qu'est la maladie et à déterminer ce que les gens devraient faire.

Je crois que cela nous dit en fait que dans une situation de crise, à tout le moins, lors de cette dernière crise, le niveau de confiance à l'égard du gouvernement était encore très élevé.

Le niveau de confiance à l'égard des médias plus traditionnels était aussi très élevé. Nous avons donc constaté dans de nombreux pays, au cours des premiers mois de la pandémie, une augmentation assez élevée de la consommation de médias plus traditionnels comme la radio et la télévision, entre autres. Donc, lorsque les gens tentaient réellement de déterminer les sources à consulter pour obtenir de l'information de confiance, ils ne se sont pas nécessairement tournés vers les médias sociaux.

Je crois donc que cela nous indique que l'on trouve un niveau de confiance latent plus élevé que ce que certaines des études nous ont portés à croire. La question est donc de savoir comment maintenir cette confiance pendant une longue pandémie, ce qui représente un immense défi pour pratiquement tous les pays.

Il faut aussi savoir comment créer et rebâtir cette confiance, si certains estiment qu'elle a été brisée et je crois que nous pouvons prendre quelques mesures pour y remédier. La première mesure est la transparence : il faut être le plus transparent possible. La deuxième est de reconnaître ses erreurs. Nous avons en fait constaté dans l'un de nos exemples, en Norvège, la première ministre, Erna Soldberg, a présenté ses excuses pour avoir imposé un confinement en Norvège et ajouté que le gouvernement s'était rendu compte que le confinement n'était pas nécessaire. Elle s'est donc excusée et a indiqué ce que le gouvernement allait faire à l'avenir, ce qui a en fait augmenté le niveau de confiance au lieu de le faire baisser.

Nous avons aussi vu beaucoup de gouvernements qui n'étaient pas nécessairement prêts à avouer leurs erreurs et à expliquer quels enseignements ils allaient en tirer.

Je crois que le troisième exemple était lié à la capacité de communiquer dans l'incertitude, et l'incertitude scientifique s'est avérée un immense défi pour un très grand nombre de gouvernements.

Ainsi, on a souvent accusé le gouvernement de changer d'idée, ce qui a mené à une baisse du niveau de confiance quand la situation et les conseils semblaient changer et que nous n'avions pas, comme je le nomme, un métacadre assez bon pour expliquer le fonctionnement de la science.


Afin de l'expliquer, je dirais simplement que l'on aurait pu théoriquement dire dès le début « Il s'agit d'un nouveau coronavirus, ce qui signifie que nous ne savons pratiquement rien à son sujet. La bonne nouvelle, c'est que les meilleurs scientifiques au monde et pratiquement tout le monde travaillent sur cette question, ce qui nous permettra de vous donner des lignes directrices. Il est toutefois certain que ces lignes directrices changeront et quand elles le feront, ce sera un élément positif, car cela signifiera que nous en savons plus sur la maladie et sur la façon de vous protéger, et de protéger les autres ».

À ce moment-là, lorsque les lignes directrices changent, vous tentez de marteler que nous vivons dans une certaine incertitude, mais le point positif, toutefois, c'est qu'un grand nombre de personnes travaillent sur ce problème, que les choses vont changer et quand elles le feront, ce sera une bonne chose. Pour certaines personnes, du moins, ce genre de discours les a empêchés de croire que les gouvernements ignoraient ce qu'ils faisaient.

Il s'agit selon moi de l'une des choses auxquelles nous pourrions songer pour renforcer la confiance.

Et, évidemment, Peter a parlé des conseils de scientifiques et d'experts et nous pourrons peut-être parler plus tard de certains problèmes de violence en ligne à l'égard de communicateurs de la santé, que j'ai explorés et qui constituent aussi selon moi un autre problème de confiance.

Taki Sarantakis : Je vais m'entretenir avec Peter dans quelques instants afin de lui poser des questions sur ma deuxième théorie, qui porte sur la légitimité. Peter, vous savez maintenant que vous répondez à la deuxième théorie.

Mais, Heidi, avant de clore le sujet sur la confiance, vous avez mentionné un point très intéressant. Vous avez dit que la transparence et la confiance allaient de pair, en quelque sorte, mais pour de nombreux systèmes politiques, qu'ils soient démocratiques, autoritaires ou autres, la transparence fait souvent peur. Il me semble que les gouvernements, bon nombre de gouvernements du monde, ne sont pas habitués de, vous savez, d'ouvrir les rideaux pour montrer le Magicien d'Oz et permettre aux gens de voir les rouages qui se trouvent à l'intérieur.

En fait, vous semblez donner à penser que le fait d'avouer que l'on ne sait pas tout, le fait d'admettre, vous savez, que les scientifiques ne savent pas tout, que les représentants ne savent pas tout, que nos institutions ne savent pas nécessairement tout, vous suggérez que cela augmente en fait le niveau de confiance au lieu de le diminuer. Ai-je bien compris?

Heidi Tworek : Oui. Essentiellement, l'élément fondamental est de créer un genre de cadre qui permet aux gens de comprendre ce que vous savez et ce que vous ne savez pas, mais aussi ce que vous faites pour y remédier.

Je crois donc que le simple fait de dire que l'on ne le sait pas en levant les bras vers le ciel n'augmentera évidemment pas le niveau de confiance de quelque façon que ce soit. Toutefois, si l'on explique bien ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, et voici les mesures que nous prenons pour y remédier, cela peut être utile parce que, surtout pendant les premiers mois de la pandémie, pendant que les gouvernements, les scientifiques et tous les autres tentaient réellement de comprendre exactement la façon dont la pandémie se propageait, les mesures que nous prenons, les meilleures mesures à prendre et les mesures qui deviendront les meilleures mesures changeront inévitablement.

Il est donc devenu difficile, une fois que les gouvernements ont été accusés de changer d'idée, de tenter de mobiliser les gens. Donc, le fait d'avoir un cadre quelque peu différent en tant qu'approche pour présenter ce que nous savons et que nous ne savons pas, et avouer ses erreurs, sont certaines des façons d'aider à renforcer la confiance.

L'autre question sur la transparence, à mon avis, a trait à la question de savoir quels sont les types de données disponibles et ce que l'on veut rendre accessible. Je crois que cela prouve, encore une fois, qu'il faut examiner différentes démocraties et voir les différentes approches quelles ont adoptées et ce que les citoyennes et les citoyens étaient prêts à prendre.

Il y a une grande spécificité contextuelle ici, parce qu'en Corée du Sud, par exemple, le compromis était une absence de vie privée assez importante, ce que je crois que les Canadiennes et les Canadiens n'auraient pas été prêts à accepter, mais le compromis était d'avoir une bien meilleure idée des foyers d'éclosion de la COVID-19, entre autres. Il ne s'agit toutefois pas, à mon avis, d'un compromis que bon nombre de Canadiennes et de Canadiens auraient été prêts à accepter, d'après ce que les données de Peter nous disent.

Taki Sarantakis : Oui.

Heidi Tworek : Donc, c'est ce que je veux dire par tenter de déterminer le niveau de transparence approprié dans votre contexte particulier.

Et, selon moi, l'élément connexe est la capacité de différents ordres de gouvernement de recueillir ces données en fait et de permettre au public de les consommer de façon appropriée.

Nous avons vu, par exemple, le Financial Times faire un travail incroyable. Le site Web Our World in Data, de l'Université Oxford, qui ne fournit pas seulement des données sur la COVID-19, mais tous les types de données, en est un autre exemple et il est incroyablement utile et très convivial.

Ce sont donc tous ces éléments qui peuvent renforcer la transparence, seulement en ce qui concerne la quantité de données. Ainsi, les gens comprennent non seulement où l'on se trouve avec la pandémie, mais aussi où le Canada se trouve en général, ce qui peut aider à renforcer la confiance, par exemple, à l'égard des types de politiques que les gouvernements poursuivent.

Je crois, pour conclure, et pour faire fond sur les données de Peter, que souvent, les citoyennes et les citoyens ignorent que de nombreux autres citoyennes et citoyens sont d'accord avec eux. Donc, il arrive parfois, par exemple, que des citoyennes et des citoyens se demandent si les autres veulent encore porter un masque et elles et ils seront plus susceptibles d'en porter un si elles et ils croient que les autres veulent en porter un.

Cela va dans le même sens que l'affirmation de Peter selon laquelle les gens sont plus susceptibles de partager leurs données s'ils croient que d'autres personnes sont susceptibles de le faire.

En fait, il peut être très utile de faire preuve d'une plus grande transparence à l'égard de ces éléments. Cela encourage en fait ce comportement prosocial. Si je sais que d'autres personnes sont prêtes à se sacrifier pour les personnes âgées et les personnes vulnérables, entre autres, je suis plus susceptible de le faire aussi. Il s'agit donc d'une confiance accrue à l'égard de ses concitoyennes et concitoyens, ce qui, j'ajouterais, est un autre élément de la confiance.

Taki Sarantakis : Merci, Heidi. Maintenant, Peter, je vous cède de nouveau la parole afin de parler de mon deuxième point, qui est très étroitement lié à la confiance, mais qui est différent, légèrement différent, et je parle ici de la légitimité.

Nous avons beaucoup parlé de la COVID-19 pendant cette discussion et, selon moi, c'est parce qu'elle soulève si merveilleusement bien toutes ces questions démocratiques, mais espérons qu'elle est bel et bien derrière nous, et pas devant. Nous savons cependant que d'autres crises nous attendent. Qu'il s'agisse de la crise énergétique, de la crise alimentaire, du vieillissement, vous savez, de la mésinformation, comme bon nombre de choses dont vous avez parlé pendant votre présentation.

Il me semble que les institutions démocratiques devront, comment dirais-je, se recadrer ou se donner une nouvelle légitimité, ce qui vient à se demander : comment nous prendrons les décisions en ce qui concerne les changements climatiques? Il y aura des gagnants et des perdants. Comment prendrons-nous les décisions relatives à l'insécurité alimentaire ou énergétique, ou au vieillissement?

Pour tous ces dossiers, les politiques publiques accéléreront ou ralentiront certaines choses, ou y mettront fin ou créeront de nouvelles choses. Mais elles créeront un groupe de personnes avantagées et un groupe de perdants.

Parlons donc un peu de la légitimité dans la démocratie.

Peter Loewen : Merci beaucoup. C'est une excellente question et je crois que la COVID-19 l'illustre de façon intéressante à certains égards. Avant de commencer, je tiens à dire que je suis ravi d'être ici avec Heidi et d'en apprendre autant d'elle.

Donc, voici ce que je trouve intéressant sur la COVID-19 : je crois qu'il existe en fait, peu importe ce qui est écrit dans les lois, et peu importe ce que notre constitution permet et interdit, et peu importe ce que la common law permet et interdit, je crois qu'il existe une compréhension implicite entre les citoyennes et les citoyens – je vais éternuer, pardonnez-moi – entre les citoyennes et citoyens et le gouvernement quant à ce que le gouvernement peut faire de façon légitime, aux domaines où il peut mener ses activités et aux domaines où il ne peut pas mener ses activités.

À mon avis, pendant la pandémie, nous avons vu les gouvernements pousser à l'extrême cette compréhension commune de ce qu'ils pouvaient faire en toute légitimité.

Permettez-moi de vous donner un exemple, et c'est important parce qu'il s'agit d'un exemple instructif à des fins de comparaison. En mai, au printemps 2021, lorsque nous composions avec une autre vague assez grave de COVID-19 en Ontario, vous vous souviendrez peut-être que le gouvernement de la province a suggéré qu'il ferait – il voulait que les gens restent chez eux et dans un certain rayon de leur domicile. Parfait, cela fonctionne.

Il a ensuite voulu donner à la police la capacité de vérifier si les personnes se trouvaient à l'extérieur de ce rayon et c'était – était-ce constitutionnel ou pas? En fait, nous l'ignorons. Les gens pourraient en débattre. Nous l'ignorons parce que cela n'a pas été mis à l'essai, mais il semblait assurément légitime pour le gouvernement légalement de suggérer que des policiers pouvaient le faire.

Je me rappelle avoir été appréhendé pour excès de vitesse dans le comté de Prince Edward; je n'habite pas là, c'était pendant la longue fin de semaine de mai. Le fait qu'une policière me dise, vous savez, que je n'étais pas censé être aussi loin de chez moi, mais qu'elle n'allait pas me donner de contravention, et, vous savez, je pouvais sentir, dans le caractère tendu de cette conversation, une légère incertitude quant à ce qui serait légitime et ce qui ne le serait pas.

Donc, vous savez que pour la plupart des Ontariennes et des Ontariens, cette mesure allait trop loin. Elle faisait l'objet d'une trop grande résistance. Elle était déraisonnable, mais au-delà du caractère raisonnable, je crois que les gens ont cru implicitement ou affirmé explicitement que le gouvernement avait une trop grande portée et qu'il n'avait aucun fondement légitime pour agir de la sorte.

Je donne donc cet exemple pour montrer que la pandémie a soulevé à maintes et maintes reprises ce genre de problème.

La mise en application des exigences en matière de vaccination pour monter à bord d'un avion, par exemple, vous savez, bon nombre de personnes croyait qu'il s'agissait d'une mesure légitimement illégitime du gouvernement. Ce n'est pas seulement qu'ils ne l'aimaient pas; ils croyaient que les gouvernements allaient plus loin que ce que la population leur avait permis de faire.

Il s'agit fondamentalement d'un point politique. Les personnes qui veulent soutenir qu'il s'agit d'un point juridique oublient la réalité sur le terrain, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un désaccord politique quant à ce que les gens croient que le gouvernement peut ou ne peut pas faire.

En fait, je crois que c'est très pertinent parce que pour que les gouvernements appliquent l'ensemble de la capacité dont ils disposent au moyen d'outils comportementaux, de changements, de règlements intelligents, de changements dans la façon dont nous surveillons l'utilisation de l'énergie, par exemple, quand nous conduisons notre voiture ou quand nous sommes à la maison, tous ces éléments mettront à l'épreuve pas principalement les limites juridiques, pas les limites technologiques du gouvernement, mais bien les limites de la légitimité.

Je crois, pour faire un lien avec ce que Heidi disait, qui était tellement utile, vous savez, lorsqu'il est question de la confiance à l'égard du gouvernement, il est vrai que les citoyennes et les citoyens ont grandement fait confiance aux gouvernements pendant la pandémie, mais les gouvernements ont-ils fait confiance aux citoyennes et citoyens et le langage qu'ils employaient pour parler aux Canadiennes et aux Canadiens était-il empreint de confiance?

J'avancerais que cela n'a pas été le cas au Canada. Ce n'est pas qu'il ne faisait pas confiance aux citoyennes et citoyens, mais il parlait du genre de choses que Heidi a mentionnées, le soin d'autrui, le discours moralisateur à l'égard des masques, n'est-ce pas, le discours sur d'autres comportements, au lieu d'avoir une conversation fondée sur la confiance, en disant, par exemple « Taki, j'aimerais vous faire part des connaissances que nous avons à l'heure actuelle. Je veux vous parler de ce qui se passe avec la COVID-19. Je vais vous expliquer pourquoi je veux que vous changiez vos – votre comportement des façons suivantes pendant les deux prochaines semaines, et voici ce qui devrait se produire, selon mes attentes, et si ce n'est pas le cas, je reviendrai vous voir et j'espère que vous discuterez avec moi de ce que nous pouvons faire ensuite. »

Nous – vous savez, nous – les gouvernements peuvent avoir des citoyennes et des citoyens implicitement dignes de confiance, mais ils n'utilisent pas ce genre de langage et je crois, vous savez, en ce qui concerne toute cette discussion sur la confiance à l'égard du gouvernement, nous devons parler de la confiance des gouvernements à l'égard des citoyennes et des citoyens et plus nous pouvons définir les choses de cette façon, plus notre capacité de faire des choses ensemble sera renforcée.

Mais le problème, n'est-ce pas, réside dans le fait que les gouvernements doivent savoir qui sont les citoyennes et les citoyens qui croient qu'une chose est légitime et qui sont ceux qui croient le contraire.

En outre, ils doivent réellement reconnaître que leur légitimité n'est pas juridique, mais bien politique.

Taki Sarantakis : Absolument, et il ne s'agit pas, comme vous l'avez dit, d'un système binaire. La démocratie est un système de rétroaction : le gouvernement prend une mesure, les citoyens réagissent et interagissent ensuite. Ce n'est pas le gouvernement qui dicte quelque chose, ou, vous savez, qui lance des éclairs, ou des institutions qui vous disent « tu feras ou tu ne feras point », parce qu'au bout du compte, il y a des concepts comme la légitimité, il y a des normes sociales et il y a des principes. Le gouvernement doit composer avec une panoplie de contraintes.

Maintenant –

Peter Loewen : Puis-je ajouter une chose?

Taki Sarantakis : Allez-y.

Peter Loewen : Je serai bref. Je ne m'exprime peut-être pas de façon concise, mais je dirai ce qui suit : la mesure dans laquelle les citoyennes et les citoyens surveillent le rendement du gouvernement est importante pour la confiance; vous êtes convaincu que le gouvernement fera réellement ce qu'il a dit qu'il ferait. Toutefois, cette mesure est aussi importante pour la légitimité. Par exemple, est-ce que je crois réellement que vous excellez dans votre travail? Est-ce que je crois que vous devriez travailler dans ce domaine? Vous me suivez?

Et, si je constate que –

Taki Sarantakis: Peter, c'est en fait ma prochaine question.

Peter Loewen : Allez-y.

Taki Sarantakis : Je vais donc vous couper et m'entretenir avec Heidi, mais je reviendrai à vous pour en parler.

Donc, le troisième élément pour moi est la capacité, ce qui correspond à mon avis à ce que vous dites indirectement.

Il me semble que si vous formez un gouvernement et un gouvernement légitime, et, je ne parle pas ici d'un gouvernement partisan, je parle de l'institution formée du gouvernement, de la police, du système d'éducation, du personnel infirmier, des hôpitaux, des scientifiques, des universités et de la fonction publique, entre autres, il me semble que cela sous-entend que vous possédez certaines capacités. Vous devez être en mesure de faire certaines choses et être en mesure d'en prévenir d'autres.


Je crois, à certains égards, qu'au cours des dix ou quinze dernières années, je l'ignore, les gens croient, selon moi, que les capacités fondamentales de l'état administratif ont commencé à s'éroder. Je veux dire ici que si l'on nous compare à certaines autres entités extérieures au gouvernement, qu'il s'agisse, vous savez, les géants de la haute technologie, de Costco ou des entités avec lesquelles nous interagissons à l'extérieur de la façon dont nous interagissons avec l'état, ces entités ont des capacités.

Ces entités savent comment remplir les étagères. Ces entités savent comment livrer un colis venant du milieu de nulle part à mon portique en, je ne sais pas, dix minutes, on dirait.

Dites-nous en plus, Heidi, sur la capacité dans la démocratie, sur ce que l'état devrait et pourrait faire. Autrement dit, je crois, est-ce important si l'état est capable?

Heidi Tworek : Oui, c'est une bonne question. Bien entendu, les gens interagissent avec l'état de très nombreuses façons et parfois ils ignorent même qu'ils interagissent avec l'état, n'est-ce pas? Quand les gens conduisent sur une route, ils pensent au rôle de l'état, par exemple.

Donc, l'une des raisons pour lesquelles les entreprises peuvent livrer des colis si rapidement a beaucoup à voir avec l'infrastructure que l'état fournit, et je tiens à dire entre parenthèses que, selon moi, les gens ne sont souvent pas conscients du rôle que joue l'état dans bon nombre des aspects de leur vie.

Vient ensuite la question des moments où ils savent qu'ils interagissent avec l'état et, dans certains cas, cela s'est remarquablement bien passé dans les premières semaines de la pandémie. Pensons par exemple à la Prestation canadienne d'urgence — la PCU. Si vous aviez demandé à des employés du gouvernement, en 2019, s'ils croyaient que la PCU était possible, auraient-ils répondu par l'affirmative? Auraient-ils dit que le gouvernement avait cette capacité? Je crois que vous auriez obtenu des réponses variées, au moins, et pourtant, elle a été possible.

Je crois donc que la question est, d'une certaine façon, comme cette surprise que nous avons eue, c'est-à-dire que les citoyennes et les citoyens faisaient réellement plus confiance aux gouvernements que ce que bon nombre de personnes l'auraient cru et qu'ils voulaient que les gouvernements aillent, dans de nombreux cas, plus loin que bon nombre de personnes l'auraient cru. Il s'agit de savoir qu'elles sont les capacités qui existent réellement par rapport à celles que nous croyons qui existent.

Et j'avancerais qu'il est en fait possible d'accomplir de nombreuses choses lorsque nous sommes confrontés à un défi. Nous avons simplement besoin d'utiliser notre imagination pour y penser.

Je dirais toutefois qu'il faut aussi penser à la question de la capacité bureaucratique de l'état, une question qui est évidemment très présente dans notre esprit à l'heure actuelle. Il faut réfléchir à ce que nous pouvons apprendre de l'industrie de la technologie en ce qui concerne la façon dont elle gère la bureaucratie. Cela ne veut pas dire d'adopter les façons de faire des plateformes et des entreprises technologiques, mais certainement de songer à la façon dont on peut gérer une bureaucratie.

Et certains aspects de celle-ci sont gérés plus vite au Canada que dans d'autres pays, tandis que d'autres sont peut-être gérées moins vite. Je crois toutefois qu'il y a de nombreux enseignements à tirer d'autres démocraties également.

J'ai mis en évidence des démocraties de l'Asie orientale parce que je crois qu'elles ont accompli des choses très intéressantes au cours des dernières années, tout comme certains pays scandinaves; songeons par exemple aux réformes du système de soins de santé.

Il s'agit donc, je suppose, de mon plaidoyer d'aujourd'hui Mon plaidoyer général, c'est que de nombreuses démocraties font des choses très intéressantes pour réformer leurs institutions démocratiques. Il n'y a qu'à penser à la façon dont elles sont devenues capables, légitimes et dignes de confiance pour le XXIe siècle et nous avons intérêt à les examiner et à apprendre d'elles, et à examiner l'Europe et nos voisins au sud de la frontière, où je me trouve actuellement. Je crois que nous avons énormément à apprendre d'autres démocraties sur les trois points que vous avez fait ressortir.

Donc, Peter, nous allons passer aux questions dans quelques instants, mais je voulais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur la capacité administrative ou de capacité de l'état et la démocratie, parce qu'une bonne partie de ce dont vous avez parlé dans votre présentation aujourd'hui englobe, en fait, la capacité.

Et, vous savez, que l'on soit à gauche ou à droite, jaune, bleu, rouge, orange, mauve, peu importe son affiliation partisane, les gens vous élisent afin de faire quelque chose ou pour mettre fin à quelque chose, et l'on s'attend à ce que, quand ces représentantes et représentants élus officiels se tournent vers l'état administratif et lui disent de faire quelque chose ou de cesser de faire quelque chose, c'est ce qui sera fait.

Dites-nous en plus à ce sujet.

Peter Loewen : Oui, je crois que j'utiliserai un exemple pertinent et je parlerai ensuite du principe général.

Toutefois, si l'argument que vous invoquez au sujet des passeports, par exemple, si votre argument, vous savez, nous, nous cafouillons à l'heure actuelle, nous n'arrivons tout simplement pas à les délivrer assez rapidement; trop de gens se présentent pour les obtenir, nous n'avons pas suffisamment de personnel, nous allons tenter de régler cette situation, mais nous sommes désolés de ce cafouillage, c'est une réponse légitime.

Si votre réponse est, vous savez, on ignore si les passeports sont un droit ou un privilège et un délai de deux mois m'apparaît raisonnable, comme vous le dites, je peux ordonner tout ce que je veux dans ma maison en une question de jour, voire d'heures, pour certains endroits, les citoyennes et les citoyens n'écouteront pas une longue dissertation sur la façon dont le gouvernement est fondamentalement différent du secteur privé sur le plan de la livraison.

Donc, à mon avis, vous savez, je crois fondamentalement que les étudiantes et les étudiants – que les citoyennes et les citoyens examinent le rendement des gouvernements en ce qui concerne les petits éléments pour lesquels ils veulent qu'il livre la marchandise, n'est-ce pas?

Nous devons vraiment, vous savez, nous devons amener les gens de leur situation actuelle, où ils ont un nombre limité d'interactions avec le gouvernement et si ces interactions se caractérisent par une période d'attente de deux semaines afin d'obtenir une lettre pour ouvrir de nouveau une session aux services de l'Agence du revenu du Canada parce que vous avez oublié un mot de passe à quelques reprises ou que vous n'êtes pas en mesure d'obtenir un passeport, ou, vous savez, le fait d'ignorer – vous savez, le fait d'avoir des communications claires sur l'enseignement de vos enfants et le début de l'enseignement, toutes ces petites choses s'additionnent et donnent à penser que le système ne fonctionne pas, et la plupart des citoyennes et des citoyens le voient comme un système dispendieux.

Je crois donc que cela a réellement de l'importance en ce qui concerne la capacité.

Je crois que nous devons reconnaître qu'il y a un décalage dans notre pays entre les attentes des citoyennes et des citoyens à l'égard du gouvernement, la façon dont nous structurons le gouvernement, la façon dont nous le finançons, le nombre de choses auquel nous nous attendons qu'il accomplisse et tout cela, bien entendu, est davantage compliqué par le fait que nous n'avons pas un système de gouvernement simple comportant un ou deux ordres. En fait, nous avons trois ordres ou nous avons de multiples ordres de gouvernement, dont certains n'ont pas réellement les moyens d'accomplir ce que nous nous attendons d'eux.

À mon avis, les gouvernements, vous savez, l'éventail de mesures – la capacité des gouvernements d'entrer en jeu pour gérer des problèmes futurs est de plus en plus limitée d'une année à l'autre parce que ces problèmes deviendront davantage, en fin de compte, des problèmes de capacité. Ce sera une question de capacité en fin de compte, n'est-ce pas?

Si nous voulons nous rendre à un système, par exemple, où nous décidons que nous allons facturer les gens au kilomètre quand ils conduisent leur voiture au lieu, vous savez, d'utiliser d'autres mesures brutes pour tenter de faire payer aux gens les coûts liés à l'utilisation des routes, ce sera, selon moi, extrêmement difficile à accomplir pour notre gouvernement, parce qu'à de multiples endroits, il faut en fait avoir une structure administrative en place pour le gérer, et celle-ci doit être créée de la bonne façon d'un bout à l'autre.

Vous savez, et il y a beaucoup d'autres choses, n'est-ce pas? Par exemple, les soins santé sont évidemment au haut de cette liste, mais, en fin de compte, nous pouvons instaurer le genre de confiance dont nous avons parlé et que nous avons vu pendant la pandémie et nous pouvons essayer d'étendre la légitimité du gouvernement à l'échelle, vous savez, des travaux politiques que cela exige.

Je crois toutefois que cette capacité, comme vous l'avez si bien dit, est réellement la condition nécessaire qui nous permettra de gérer avec succès les défis de l'avenir.

Taki Sarantakis : Maintenant, merci, Peter.

Nous avons commencé à recevoir des questions et mon équipe en a regroupé quelques-unes pour moi.

Je donnerai la chance à chacune et chacun d'en parler, parce que c'est très important et, souvent, nous n'en parlons pas ouvertement. C'est un peu comme – c'est – c'est presque comme un secret ou, vous savez, quelque chose dont nous ne devrions pas parler et ce dont je parle est le lobbyisme.

Donc, un grand nombre de membres du public ont pratiquement rédigé des variantes de la question suivante : « La plupart de nos systèmes démocratiques semblent être dominés par des intérêts spéciaux et des groupes de lobbyisme. Il ne semble pas possible d'accomplir réellement des choses dans une démocratie à moins d'avoir des intérêts spéciaux et de faire du lobbyisme ».

Heidi, vous pourriez peut-être nous faire part de quelques-unes de vos réflexions générales à ce sujet et nous situer un peu dans un contexte international.

Nous savons, n'est-ce pas, que l'argent joue un rôle différent dans divers systèmes politiques. Je peux vous dire que nous étudions beaucoup Washington, et, diantre, si vous croyez que les intérêts spéciaux ont un rôle à jouer dans notre démocratie, bon sang, allez voir où se trouve Heidi.

Donc, Heidi, allez-y et pour les gens qui viennent de se joindre à nous, Heidi se trouve à Washington aujourd'hui, et pas à Vancouver. Donc, nous n'avons pas dit cela.

Heidi, et Peter ensuite, à vous la parole.

Heidi Tworek : Oui, je me trouve dans le district fédéral de Columbia, et pas en Colombie-Britannique.

De toute évidence, le lobbyisme joue un rôle dans de multiples démocraties, également à l'Union européenne ou au niveau du Parlement européen et de la Commission européenne. Il joue aussi un rôle et en fait, je vais faire un peu de promotion pour un projet financé par le Conseil de recherches en sciences humaines auquel je participe, qui se penchera en fait sur la question du lobbyisme par les entreprises technologiques au Canada.

Il s'agit, vous savez, d'un exemple de cas où il est parfois difficile de répondre à certaines de ces questions et, ce que ce projet fait, entre autres, c'est d'envoyer des demandes d'accès à l'information afin de tenter de comprendre la fréquence à laquelle les grandes entreprises technologiques rencontrent réellement divers bureaux et ministères du gouvernement du Canada et de tenter, dans la mesure du possible, d'avoir une idée de l'objet des discussions afin de pouvoir vraiment répondre, de répondre un peu plus clairement à ces questions sur le rôle du lobbyisme et des intérêts spéciaux, dans ce cas, dans l'industrie de la technologie, et son influence sur divers types de lois à ce sujet.

Je crois donc qu'il s'agit, évidemment, d'un aspect important de ce dont les gouvernements tiennent compte, mais c'est aussi, en partie, légitime de demander aux entreprises comment elles fonctionnent à mesure que vous tentez de les réglementer.

Je crois qu'il s'agit, encore une fois, d'une question de confiance de la part des citoyennes et des citoyens, où il faut se demander si une plus grande transparence est requise dans ce domaine.

Donc, la version la plus extrême de la transparence serait une transparence complète, comme nous le voyons, par exemple, avec la ministre du Numérique de Taïwan, Audrey Tang, qui tient toutes ses réunions de façon ouverte. Nous savons donc qui Mme Tang rencontre, quel est l'objet de la discussion et c'est, comme je l'ai mentionné, la version de la transparence la plus pure, une transparence totale, mais très peu de démocraties vont aussi loin.

Je crois tout de même qu'il s'agit d'un élément, du moins, auquel il faut réfléchir : à quel point la confiance des citoyennes et des citoyens serait-elle renforcée s'il y avait une plus grande transparence à l'égard de ces questions? Quel est le niveau de transparence approprié pour le Canada?

Il y a sans aucun doute d'autres niveaux où l'on pourrait se rendre et que d'autres démocraties utilisent; je l'ai seulement présenté à titre d'exemple qui mérite d'être examiné.

Taki Sarantakis : Peter, que pensez-vous du lobbyisme et de la démocratie, ainsi que de l'idée selon laquelle il faut jouer dans une certaine structure pour réaliser des choses par rapport au citoyen, qui, vous savez, m'apparaît comme une personne qui a voté, qui, vous savez, a à cœur son enfant ou sa commission scolaire.

Peter Loewen : C'est l'une de ces questions où cela dépend réellement de l'angle sous lequel on l'examine.


Donc, en ce qui concerne le niveau de transparence, je dirai seulement que, selon moi, les choses s'améliorent au lieu d'empirer au Canada. Vous savez, nous faisons un meilleur travail dans le maintien et dans l'utilisation d'un outil disciplinaire, le Registre des lobbyistes. Nous faisons un meilleur travail pour limiter le rôle de l'argent en politique en limitant le montant des dons pouvant être versés à nos partis politiques. Je crois, en somme, que c'est pour le bien.

Il existe malheureusement un lien entre ces deux éléments, mais je crois que l'économie politique que l'on voit de plus en plus est que les lobbyistes qui jouent des rôles éventuels dans les campagnes sont en mesure de tirer parti de ces rôles dans les campagnes afin de faire du lobbyisme pour obtenir des contrats avant ou après les élections et, en fait, les sociétés utilisent les paiements de lobbyisme comme moyen, d'une certaine façon, de verser des contributions à différentes équipes, mais nous pourrions le régler au fil du temps.

En ce qui concerne la transparence, toutefois, je crois que nous nous sommes améliorés et que nous devons reconnaître, comme Heidi l'a fait, que le lobbyisme peut jouer un rôle important dans l'élaboration de meilleures politiques.

Il y a toutefois quelques considérations d'économie politique ici à examiner, au moment où nous nous tournons vers l'avenir, afin de déterminer la façon dont nous voulons les gérer.

L'une d'elles est la question suivante : qu'est-ce qui sera le plus probablement saisi par les lobbys? Les grandes questions dont on parle ouvertement et qui font l'objet de négociations politiques, ou les questions de plus en plus ciblées et petites de lois visant à attirer des portions de plus en plus minces de l'électorat ou de la population?

La façon dont j'ai formulé ma question vous donne la réponse, n'est-ce pas? En fait, vous savez, il y a eu du lobbyisme pour le lac Meech, pour Charlottetown, et Dieu sait quoi, il y a eu du lobbyisme pour la taxe sur les produits et services, mais il s'agissait de grandes questions, gérées et débattues en public, et qui ont fait l'objet d'un débat politique.

Donc, la politique est, à certains égards, un antidote au lobbyisme. Plus nous sommes prêts à débattre de ces questions en public et de les présenter dans le domaine public en tant questions contestées, moins elles sont susceptibles d'être saisies par les personnes qui ont un petit intérêt limité à leur égard et nous devrions reconnaître que la politique est la réconciliation des différences.

Je crois toutefois, Taki, qu'il faut aussi tenir compte de ce qui suit : j'ai l'impression qu'à mesure que les lois se complexifient, qu'elles deviennent nécessairement et presque logiquement plus complexes, étant donné que l'on superpose une loi sur l'autre et que nous dépendons de plus en plus sur des ministères toujours plus étroitement définis, moins nous réfléchissons réellement aux politiques qui transcendent les choses.

Je crois également que nous nous dirigeons vers un environnement où, vous savez, au cours des dix ou vingt prochaines années, où, avec les avancées sans le domaine de l'intelligence artificielle et l'apprentissage automatique, sans compter la disponibilité des données, si nous sommes prêts à les exploiter, nous pourrons en fait comprendre les politiques à un niveau beaucoup plus complexe. Nous pouvons les évaluer à un niveau plus organique et plus près d'un niveau de système.

Un excellent article a été publié il y a quelques semaines à peine sur l'apprentissage automatique et sur les politiques qui fonctionnent pour réduire les émissions nocives pour le climat et je crois que nous pourrons réellement nous rendre à ce point où nous réfléchissons beaucoup plus aux politiques – où nous réfléchissons aux politiques de façon plus globale et ne pas simplement permettre leur exécution dans des ministères concurrents.

Si nous y arrivons, je crois que cela peut réellement limiter le rôle des lobbys, car ils seront confrontés aux données à ce moment-là et pas à un argument juridique particulier.

Je pourrais en parler plus longuement, mais je crois que nous sommes sur le point d'atteindre une nouvelle frontière dans l'évaluation de la conception des politiques. Par la suite, les lobbys pourront débattre de choses qui sont plus manifestement optimales, vous savez, des choses dont nous sommes convaincus de la réussite. À l'heure actuelle, en revanche, nous avons une bien moins grande certitude à l'égard des politiques qui fonctionneront, donc nous laissons les lobbys pallier les lacunes.

Taki Sarantakis : Donc, Peter, vous avez indirectement présenté notre prochaine question du public, et cette question est une variante de l'énoncé suivant :

« Le professeur Loewen a beaucoup parlé des experts pendant sa présentation, mais la démocratie, n'est-ce pas ce que le peuple veut, au lieu de ce que les experts nous disent? »

Je vous laisserai répondre en premier Peter, et ensuite, Heidi, nous vous reviendrons parce qu'il s'agit d'une question très intéressante. En effet, si on l'analyse seulement au niveau du jeu de mots logique au lieu de le faire dans le monde réel, on peut effectivement se demander à quoi sert la démocratie si nous avons des experts qui, vous savez, que vous n'avez qu'à écouter, vous savez, votre expert en médecine, votre expert en droit, votre expert en comptabilité, votre expert en éducation des enfants et votre expert en vieillissement. Cela étant dit, à quoi bon la démocratie?

Donc, Peter, commencez, je vous prie.

Peter Loewen : En fait, c'est comme mettre des pièces de monnaie dans une machine. Je vais donc faire une affirmation ici et j'aimerais qu'Heidi y réponde. À mon avis, l'une des pires choses qui sont ressorties de la pandémie, du point de vue des politiques, était qu'à certains moments – pendant tout au long de la pandémie – à certains moments, les politiciennes et les politiciens se sont présentés devant les électeurs et leur ont dit « la science nous a dit de faire ce qui suit, et je ne fais que faire ce que la science me dit de faire ».

Je suis d'avis qu'il s'agissait d'une très, très mauvaise situation parce qu'en fait, cette expertise scientifique ignorait ce qu'il fallait faire, à certains égards. Nous avions de meilleures estimations, mais nous ne savions pas quelle était la meilleure chose à faire; en outre, on ne tenait pas compte des compromis de la façon dont on demande aux politiciennes et aux politiciens de les faire dans notre système.

Les scientifiques voient les éclats de la lune; les politiciennes e tles politiciens doivent voir la lune dans son ensemble. Leur travail est de dire « voici le conseil que l'on m'a donné et voici pourquoi je le suis, parce que je crois que cela mènera aux résultats suivants ».

Toutefois, lorsqu'ils nous disent qu'ils n'ont pas le choix, ils nous disent en fait qu'ils prennent une décision dont ils ne veulent pas être responsables : « Je n'ai pas le choix de le faire, et je n'ai pas le choix parce que les scientifiques me disent de le faire ».

Vous savez, je crois que c'est une mauvaise situation dans laquelle se trouver au lieu de — quel serait l'opposé ou quelle serait la solution de rechange? La solution de rechange, c'est que la politicienne ou le politicien dise « Je veux vous communiquer tous les conseils que l'on m'a donnés et qui sont résumés ici par ma table scientifique ou par ces scientifiques qualifiés sur qui je compte. Je vous demande donc de faire ce qui suit au lieu de vous demander de faire autre chose. J'ai donc pris cette décision plutôt qu'une autre et voici ce qui devrait se passer, et vous me jugerez sur les résultats » ou un énoncé qui n'a pas prononcé de façon très éloquente, mais une déclaration qui indique que la politicienne ou le politicien reconnaît qu'elle ou il a fait un certain compromis.

Donc, je crois que si nous ne le faisons pas, si nous demandons plutôt aux politiciennes politiciens de dire « écoutez, je suis seulement une marionnette pour les scientifiques ». Ensuite, un autre politicien se présentera et dira « je ne crois pas – pourquoi êtes-vous même ici? Élisez-moi plutôt ».

En fin de compte, on délégitimise et on mine le rôle des politiciennes et des politiciens, qui est de voir la lune dans son ensemble.

Taki Sarantakis : (En sourdine)

Peter Loewen: Taki, vous êtes en mode sourdine.

Taki Sarantakis : Pardonnez-moi. La démocratie et les experts, qu'en pensez-vous, Heidi?


Heidi Tworek : Oui. Donc, je veux dire, je suis essentiellement d'accord avec Peter. Je l'aborderai toutefois sous un angle légèrement différent. Selon moi, lorsque l'on a dit des choses comme « faire ce que la science nous dit », on a fondamentalement mal compris ce qu'est la science : la science est souvent une contestation entre experts.

On n'a vu qu'à très peu de moments tous les épidémiologistes, les médecins spécialisés en maladies infectieuses, les scientifiques du comportement et les experts en communications, et j'en passe, dire d'une voix unie de faire telle chose. Je crois qu'essentiellement, nous n'avons pas vu une telle chose se produire, n'est-ce pas?

Cela s'explique parce que différentes personnes se penchaient sur différents aspects de la question. Il n'y avait pas une science unique en ce qui concerne la pandémie, n'est-ce pas?

Donc, si vous étiez un expert dans l'un de ces domaines, vous auriez pu dire d'aller dans cette direction, mais, à ce moment-là, nous ne savions même pas quels scientifiques nous aurions dû écouter, n'est-ce pas?

Il s'avère que, vous savez, les ingénieurs en aérosol auraient été excellents si nous les avions fait participer très tôt, en fait.

Donc, même cette phrase, je crois, portait beaucoup à confusion, parce que les scientifiques dont vous suiviez les conseils montraient des experts en tant que groupe qui était parvenu à un consensus précis, ce qui n'était pas le cas, en vérité. La voie exacte à suivre a fait l'objet d'une multitude de débats entre différents experts scientifiques et continue de le faire.

Il s'agit là, comme Peter l'a dit,du rôle des politiciennes et des politiciens, n'est-ce pas, de se présenter et de dire « vous savez, voici ce que mon groupe de discussion scientifique me dit, il n'est pas certain de X » ou, vous savez, « voici ce que j'ai décidé de faire selon la prépondérance des éléments de preuve qui m'ont été présentés » parce que cette science, qui évolue toujours, n'était pas certaine à 100 %, n'est-ce pas?

Cela revient à ce que je disais sur le métacadre de la science, c'est-à-dire qu'en disant des choses comme « j'ai suivi les conseils des scientifiques » on donne au public une mauvaise impression du fonctionnement réel du processus d'enquête scientifique. 

Ainsi, lorsque les scientifiques n'étaient pas d'accord, cela a malheureusement entraîné une grande confusion, parce que si un politicien a dit qu'il suivait les conseils scientifiques et que soudainement, les scientifiques sont en désaccord, qu'êtes-vous censés faire, n'est-ce pas?

Je crois aussi qu'un grand nombre de personnes qui n'ont pas nécessairement respecté les lignes directrices liées à la COVID-19 à divers moments ne l'ont pas fait, souvent, par malice, mais bien par confusion.

Je crois donc qu'il est important de comprendre que les experts sont clairement cruciaux. Elles et elles nous aident à interpréter un monde très complexe, mais ils sont souvent en désaccord, et les politiciennes et les politiciens ont donc le rôle de déterminer, en fonction de ses conseils possiblement contradictoires qu'ils reçoivent des experts, la voie qu'ils veulent emprunter.

Les politiciennes et les politiciens ont aussi le rôle, dans de nombreux cas, de déterminer les types d'experts qu'ils veulent amener à la table et il s'agit d'un autre élément crucial à ajouter ici, selon moi. En effet, il arrive parfois que nous ne trouvions peut-être pas aux tables scientifiques toutes les disciplines différentes qui auraient pu être les plus utiles pour définir notre voie à suivre.

La pandémie en est un exemple, et les changements climatiques en sont un autre, où nous aurons besoin d'un ensemble très différent d'experts interdisciplinaires afin d'éclairer réellement les mesures que les politiciennes et les politiciens devraient prendre.

Taki Sarantakis : Notre dernière question examine quelque peu les choses sous un autre angle et demande « Que puis-je faire, en tant que représentant, en tant que fonctionnaire dans le contexte canadien, pour renforcer la démocratie, pour faire du Canada une démocratie plus solide grâce à sa fonction publique? ».

Donc, je ne sais pas. Peter, vous commencerez, puis, Heidi enchaînera,et nous récapitulerons — mais je vais vous laisser dire le dernier mot une fois que nous aurons répondu à cette dernière question.

Peter, c'est à vous.

Peter Loewen : Vous savez, je crois qu'il pourrait être opportun de le dire, je prendrais très au sérieux, mais absolument, mais très au sérieux les voix dans notre pays qui expriment un scepticisme réel sur la capacité du gouvernement et sur l'intention du gouvernement et ne pas, vous savez, il n'est pas nécessaire de leur présenter la thèse, mais de demander réellement pourquoi ces questions sont posées.

À mon avis, c'est merveilleux que les gens posent cette question, qu'ils demandent, en quelque sorte, ce qu'ils doivent faire, au niveau individuel, afin de continuer à légitimiser notre fonction publique, parce qu'il s'agit, à tant d'égards, de la meilleure que nous puissions avoir, et à de nombreux autres égards, de l'élément que nous devons vraiment améliorer.

Je dirais toutefois que nous devons vraiment comprendre pourquoi les gens sont sceptiques à l'égard du gouvernement et de ses capacités de nous aider à relever les grands défis de l'avenir, et d'écouter un peu ces personnes et de tenter de leur répondre la main tendue et à cœur ouvert, et non sur la défensive, si je puis utiliser un terme si doux. Il s'agirait d'un bon point de départ selon moi.

Taki Sarantakis : Donc, Heidi, que puis-je faire en tant que représentant, en tant que fonctionnaire, pour renforcer la démocratie?

Heidi Tworek : Oui. À mon avis, il faut entre autres faire preuve d'imagination. Il n'y a aucun mal à sortir des sentiers battus et la COVID-19; nous en avons parlé tous les deux, la COVID-19 en est un exemple, n'est-ce pas? Ce que nous avons fait en mars et en avril 2020 aurait été, selon moi, inimaginable en mars et en avril 2019 pour de nombreux employés de la fonction publique.

Et, sortir des sentiers battus ne veut pas nécessairement dire de mettre en œuvre toutes les idées, mais d'être conscient qu'il faut parfois apporter des réformes créatives. C'est ce que des pays comme Taïwan et la Corée du Sud étaient prêts à faire après le SRAS et le SRMO et cela a vraiment, notamment, rapporté pendant la pandémie au chapitre du nombre de vies sauvées et du fonctionnement de l'économie, tout ce que l'on aurait voulu réaliser.

Un autre élément, pour approfondir la question de Peter, est l'importance de reconnaître le vaste éventail de façons dont les personnes peuvent formuler la question qu'il a posée.

Je vais vous donner une statistique en guise d'exemple. En Colombie-Britannique, une province qui compte, vous savez cinq millions et demie d'habitants, plus d'un million de personnes n'a ni l'anglais ni le français comme langue maternelle. Donc, lorsque nous réfléchissons à la façon dont nous écoutons les personnes qui habitent au Canada et ce qu'ils font, cela signifie aussi de réfléchir à la diversité du pays et à la façon dont nous écoutons ces personnes.

Taki Sarantakis : Je vais vous permettre à tous les deux de nous faire part de vos dernières réflexions et je vais conclure. Peter, faites-nous part brièvement de vos dernières réflexions sur la démocratie et l'avenir de la démocratie dans la fonction publique.

Peter Loewen : Les temps sont durs, une fois de plus, c'est la mauvaise nouvelle, il sera plus difficile qu'il ne l'a été depuis bien longtemps de travailler sur des politiques. Aucun cabinet fédéral ou provincial actuel n'a jamais gouverné pendant une période où l'inflation a atteint plus de 4 % pendant plus d'un an. Cette expérience est partie, vous savez.

C'est donc, autrement dit, notre mémoire musculaire qui nous aide à gérer les temps réellement durs est en fait très atrophiée. Je crois qu'il nous faut reconnaître qu'il sera très difficile d'élaborer des politiques au cours des prochaines années.

Il faut donc se demander comment la Grande-Bretagne a réussi à le faire après la guerre. Comment a-t-elle bâti un tout nouvel état administratif? Comment sommes-nous parvenus à survivre à Meech, à la TPS et au défi dans les années quatre-vingt-dix? Quand nous avons réalisé de grandes choses dans la fonction publique, de quelle façon l'avons-nous fait? Bref, le temps est venu d'étudier l'histoire afin de se préparer à l'avenir.

Taki Sarantakis : Heidi, faites-nous part de vos sages réflexions en conclusion.

Heidi Tworek : Peter, j'adore. On ne peut pas dire à un historien formé d'étudier l'histoire, mais c'est exactement ce que vous avez fait. C'est fantastique, et je crois que c'est exactement vrai, qu'en fait, l'histoire est très utile, et je dis qu'elle est utile, car elle nous aide à distinguer le précédent du sans précédent. Il y a, bien entendu, certaines façons dont cette confluence de circonstances semble sans précédent, mais, en fait, il y a beaucoup d'enseignements à tirer du passé.

En fait, je viens d'être nommée directrice d'un centre d'étude des institutions démocratiques à l'Université de la Colombie-Britannique et nous réfléchirons à cette question, nous tenterons de songer à la façon de comprendre le passé, d'analyser le présent et de nous préparer à l'avenir, et je crois que c'est profondément important.

Cela exige, encore une fois, possiblement de sortir des sentiers battus, mais nous avons aussi des précédents qui nous aideront à le faire.

Taki Sarantakis : Oui. Hé bien, quelle merveilleuse façon de lancer notre nouvelle série sur l'avenir de la démocratie.

La démocratie exige de travailler fort. La démocratie n'est pas un exercice passif, et encore une fois, il ne s'agit pas de participer au système une fois tous les quatre ans; et le travail qu'elle exige d'une multitude d'acteurs, y compris celles et ceux d'entre vous qui regardent aujourd'hui, les fonctionnaires, et il est absolument essentiel de jouer notre rôle afin de garder la démocratie saine et dynamique, et de donner un avenir à la démocratie.

Parce que, comme Peter l'a dit, je ne sais pas s'il paraphrase Bob Dylan ou si je paraphrase Peter qui paraphrase Bob Dylan, mais les temps changent et un grand nombre de fonctionnaires au Canada n'ont jamais vécu pendant une période de guerre, pendant une période d'inflation, pendant une période, vous savez, de taux d'intérêt qui se situent dans les deux chiffres, comme bon nombre de nos parents l'ont vécu par le passé.

Nous devons donc nous adapter, et être résilients et aptes, à mesure que nous naviguons dans ce territoire inexploré.

Professeure Tworek, professeur Loewen, merci beaucoup d'avoir passé du temps avec nous aujourd'hui et, plus important, merci d'être des amis de la fonction publique du Canada.

Merci.

Peter Loewen : Merci beaucoup.

Heidi Tworek : Merci beaucoup.

[Le clavardage vidéo s'estompe pour faire place au logo de l'EFPC.]

[Le logo du gouvernement du Canada s'affiche et s'estompe pour faire place à un écran noir.]

Liens connexes


Date de modification :