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Série Café virtuel de l'EFPC : La santé des Autochtones, une conversation avec le Dr Stanley Vollant et le chef Ghislain Picard (TRN5-V06)

Description

Cet enregistrement d'événement présente une conversation avec le docteur Stanley Vollant et le chef Ghislain Picard au sujet des problèmes de santé qui touchent les communautés autochtones et des répercussions de la COVID-19 sur les soins de santé.

Durée : 01:02:18
Publié : 29 janvier 2021
Type : Vidéo

Événement : Série Café virtuel de l'EFPC : La santé des Autochtones, une conversation avec le Dr Stanley Vollant et le chef Ghislain Picard


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Série Café virtuel de l'EFPC : La santé des Autochtones, une conversation avec le Dr Stanley Vollant et le chef Ghislain Picard

Transcription

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Transcription : Série Café virtuel de l'EFPC : La santé des Autochtones, une conversation avec le Dr Stanley Vollant et le chef Ghislain Picard

Sony Perron : Bonjour à tous, je suis Sony Perron, vice-président exécutif de Services partagés Canada. Je remercie l'École de la fonction publique du Canada de m'avoir invité à modérer cet événement. Avant d'aller plus loin, je voudrais reconnaître qu'aujourd'hui je travaille sur le territoire ancestral de la nation algonquine et inviter tous et toutes, chacun, à réfléchir et à porter attention à l'histoire du territoire où vous travaillez. Maintenant je voudrais inviter l'aînée Claudette Commanda à partager avec nous sa sagesse pour lancer sur un bon pied cette [Problèmes techniques sonores dans la vidéo] [Paroles inaudibles].

Claudette Commanda : Bonjour? Bonjour? Est-ce que quelqu'un m'entend? Oui, ok. Kwe, Grand chef Picard. Kwe, Docteur Vollant. Kwe ???. [Langue autochtone] Bonjour à tous, bienvenue à notre territoire ancestral de mon peuple algonquin. Je vais faire une prière dans ma langue et vous êtes tous inclus dans cette bénédiction. J'invite tout le monde et tous les participants qui sont ici à se joindre à moi dans la prière alors que nous donnons cette bénédiction pour cette succession aujourd'hui et que je reconnais mes ancêtres. [Langue autochtone] Retour à vous Sony. [Langue autochtone]

Sony Perron : Merci, aînée Commanda. Je voudrais remercier les 800 personnes qui se joignent à nous aujourd'hui pour ce 7e événement du café virtuel de l'École de la fonction publique du Canada qui nous permet de rencontrer des grands leaders d'un large éventail de disciplines. Le but de la série des cafés virtuels est de fournir l'occasion d'apprendre à propos des enjeux d'importance considérable pour les fonctionnaires. Aujourd'hui, nous sommes ici en toute humilité pour apprendre davantage sur la santé des peuples autochtones, un enjeu, où, malheureusement, encore aujourd'hui, des écarts profonds existent entre les indicateurs de santé des différents groupes autochtones au pays et le reste de la population canadienne. C'est avec plaisir que nous accueillons deux conférenciers émérites qui nous sensibiliseront aux défis et aux possibilités stratégiques liés à la santé des peuples autochtones. Je suis heureux qu'ils aient accepté l'invitation de l'École parce que, pour moi, il est primordial que notre apprentissage prenne racine tout d'abord auprès d'experts et représentants autochtones. Nos deux conférenciers sont bien connus et vous avez peut-être eu déjà l'opportunité et la chance de les entendre dans les médias ou de les rencontrer. Tout d'abord, docteur Stanley Vollant, chirurgien général à l'Hôpital Notre‑Dame de Montréal et fondateur de Puamun Meshkenu, un organisme à but non lucratif créé en 2016. Sa mission est d'inspirer et d'appuyer les peuples autochtones afin qu'ils tracent leur propre chemin de 1000 rêves. Pescanu Meskanum, en innu, est une façon historique, soit mentalement, spirituellement, physiquement et émotionnellement. Cet organisme accompagne les peuples autochtones afin que chaque personne développe son plein potentiel et contribue au mieux-être collectif avec le support de sa communauté. Docteur Vollant, bienvenue. Nous accueillons aussi le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, monsieur Ghislain Picard. Monsieur Picard est chef régional depuis 1992. Comme docteur Vollant, chef Picard vient de la communauté innue de Pessiamit sur la Côte-Nord du Saint-Laurent. Plus tôt dans sa carrière, il a consacré la plus grande partie de son temps au domaine des communications. Par exemple, en 1983, il a participé à la mise sur pied d'un réseau de radios communautaires au sein de sa nation et a été l'un des fondateurs de la Société de Communications Atikamekw et Montagnaise qui produit des émissions radiophoniques en langues autochtones. Il siège au comité exécutif ainsi qu'au comité de gestion de l'Assemblée des Premières Nations. Chef Picard est lauréat du chevalier de l'Ordre national du Québec et de l'insigne de chevalier de la Légion d'honneur du Consul général de France. Chef Picard, bienvenue. Avant de procéder à notre discussion avec nos deux invités, quelques points de logistique. Tout d'abord, la session portera sur quelques questions que nous voulons aborder avec nos deux participants aujourd'hui, mais par la suite vous aurez la chance de poser vos questions. Donc, je vous invite à utiliser l'icône se trouvant au coin supérieur droit de votre écran qui prend l'apparence d'une personne ayant la main levée pour soumettre vos questions. Nous tenterons d'en poser le plus possible à la fin de notre rencontre aujourd'hui avec le docteur Vollant et chef Picard. Alors, commençons notre discussion avec nos deux invités. Peut-être, aujourd'hui on parle de sujets extrêmement importants et j'aimerais peut-être avoir votre point de vue sur quels sont les faits importants et primordiales que nos participants aujourd'hui, qui sont des fonctionnaires fédéraux, doivent comprendre en avance avant de s'engager sur un sujet aussi crucial que la santé des peuples autochtones. Je commencerais peut-être avec le docteur Vollant, si vous voulez nous donner peut-être un petit mot d'introduction et, par la suite, j'irai au chef Picard.

Stanley Vollant : [Langue autochtone] Donc, merci, Chef Picard, d'être avec moi pour m'appuyer dans cette démarche. Je pense que, ce qui est important, ce que j'apprends à mes étudiants en médecine depuis des années, c'est de reconnaître la diversité des cultures autochtones et d'enlever cette vision monolithique que sont les Autochtones parce que souvent, on voit les Autochtones comme un monolithe, mais on est très différents au Québec, on est plus de 11 nations différentes, près de 55 nations différentes au Canada, qui ont des enjeux différents, qui ont des modes de vie différents, qui ont des conditions de vie très différentes, et, même à l'intérieur d'une même nation, il y a une grande, grande différence au niveau de la santé, au niveau de la richesse, donc c'est de reconnaître cette diversité culturelle et aussi de voir les autochtones pas comme une problématique, mais comme une grande richesse, comme des partenaires économiques, de santé, de vie pour l'ensemble des Québécois et des Canadiens et je pense que, si on peut nous voir comme des alliés, des partenaires et des égaux, je pense qu'il faut décoloniser nos relations. La colonisation a mis les Autochtones dans un niveau inférieur de rapport de forces et je pense que, si on se met d'égal à égal, qu'on reconnaît nos différends, qu'on reconnaît nos richesses, je pense qu'on va être capable de bâtir un grand pays pour tous nos enfants peu importe leur origine, leur couleur, leur religion, leur langue, leur culture. Donc, reconnaître cette grande diversité-là, je pense que c'est l'aspect primordial.

Sony Perron : Merci, Docteur Vollant. Chef régional Picard.

Ghislain Picard : Oui, merci beaucoup, M. Perron, pour cette belle introduction, et moi également, ça me fait extrêmement plaisir, je me sens extrêmement privilégié de pouvoir partager l'écran avec mon confrère mais aussi mon petit cousin, le docteur Stanley Vollant, il y a à peu près une demi-génération qui nous sépare et moi avec une implication en politique qui fait près de trois décennies, dans son cas, une expérience très certainement plus que notable dans le domaine de la médecine et on en est extrêmement fier. Je voudrais aussi évidemment reconnaître notre sœur Claudette Commanda pour la prière d'invocation est toujours appropriée de commencer de cette façon-là, et je suis innu, mais aujourd'hui je vous parle du territoire mohawk à Kahnawake, donc c'est déjà un exemple de diversité comme le docteur Vollant y faisait référence. Au Québec, c'est 11 nations, incluant les Inuits, et une très, très large diversité à l'échelle du pays. On a l'impression que la santé, ça fait partie de notre contexte contemporain et, pour plusieurs éléments, bon, c'est sans doute vrai, mais en même temps, la santé et le bien-être ont toujours fait partie de ce que nous sommes comme peuple. C'est ancré dans nos structures de gouvernance comme peuple, et je pense que c'est très, très important de se le rappeler parce qu'on a souvent l'impression que les Autochtones, c'est comme si tout ce qu'on fait, c'est né d'un rêve et que finalement on apprend à se situer par rapport à des défis qui se présentent à nous comme population. Donc, je trouve important que la population en général, et surtout la fonction publique fédérale – je remercie l'École d'ailleurs qui nous donne cette opportunité-là ce matin –, c'est important de bien, bien connaître l'histoire. Écoutez, l'histoire ce n'est pas 1534 ou 1492. Il y a une histoire qui appartient à celle de nos peuples qui précède les premiers contacts et je pense que c'est important ça aussi de bien se le rappeler et d'ailleurs, ce que je considère aujourd'hui, c'est que tout est accessible. Je pense qu'il n'y a personne qui peut nier le fait que la question qui intéresse les Premières Nations, les Inuits, les peuples autochtones – je veux dire, ça court les rues, ça fait les manchettes, ça fait l'actualité, surtout avec les rapports qui ont été, je pense, les plus connus aujourd'hui, c'est, bon, la commission Viens au Québec, vérité réconciliation en 2015, le rapport sur les femmes et jeunes filles autochtones assassinées disparues pour ne nommer que ceux-là, mais il y a beaucoup d'autres rapports qui les précèdent aussi : la commission royale sur les peuples autochtones au début des années 90, qui a été rendue publique au milieu des années 90 également, donc c'est des éléments, je pense, des recueils extrêmement importants, et ça, je pense que c'est important également de se le rappeler. Dernière chose que j'aimerais ajouter, c'est qu'il faut aussi savoir qu'on n'a jamais abandonné nos responsabilités comme population en ce qui concerne la santé de nos peuples, et ça, c'est important également de le savoir et lorsqu'on regarde l'histoire, lorsqu'on la comprend, on comprend que le colonialisme, les tentatives d'assimilation, finalement, ont également contribué à quelque part à retirer ces responsabilités-là, à les soustraire de nos propres autorités, donc il y a ces éléments-là, je pense, qui mériteront très certainement également une considération dans la réflexion.

Sony Perron : Merci beaucoup à vous deux. Docteur Vollant, vous vouliez ajouter quelque chose?

Stanley Vollant : Oui. J'ai oublié de mentionner que je parlais du territoire des Kanyen'kéha, c'est des Mohawks, je parle de Montréal, donc, et juste pour faire une petite anecdote drôle ou peut-être triste, juste en face de mon bureau, où je suis actuellement, il y a une statue de Jacques Cartier, Jacques Cartier qu'on considère le premier touriste officiel, pour les Autochtones. Je n'ai rien contre Jacques Cartier, on n'a rien contre Jacques Cartier personnellement, nous, c'est notre premier touriste. Il y a trois faces. Il y a un côté où il est né, à Saint‑Malo en 1492, l'année que Christophe Colomb est arrivé, l'autre touriste qui nous a un peu mis dans le trouble, l'autre côté de la statue, il y a une autre plaque qui dit « il est parti de Saint-Malo le 15 avril 1534 ». L'autre plaque, la troisième plaque, « il arrive à Gaspé le 17 juillet 1534 ». C'est des faits historiques, on reconnaît ça, mais le quatrième côté, c'est marqué qu'« il prit possession de ces terres au nom de son maître, le roi de France » et ça, je peux vous dire, c'est une insulte à chaque fois que je lève les yeux sur le parc devant chez moi. Ça, c'est vraiment du colonialisme, c'est des choses qui nous impactent encore aujourd'hui. Juste une plus petite anecdote drôle, mais qui me fait quand même réagir à chaque fois que je me lève les yeux.

Sony Perron : Merci d'avoir partagé ça avec nous, puis je pense, pour les 800 personnes qui sont avec nous, ça donne une illustration des choses qu'on ne voit pas dans notre environnement parce qu'on les a pris pour acquis et qui sont importantes et qui sont offensantes et qui nient une partie de l'histoire. Je pense que, ce que le chef régional Picard nous disait, la santé et la préoccupation pour la santé, ça existait avant que les Européens arrivent en Amérique du Nord et ça existe toujours et les leaders des communautés sont toujours impliqués sur cette question-là. Ça n'a pas été inventé avec l'arrivée des Européens. C'est important, puis merci beaucoup aussi du signal sur la diversité, l'approche monolithique en pensant qu'on aura des solutions qui vont faire pour tout le monde, vous nous mettez en garde là-dessus et c'est extrêmement important et ça m'amène à ma deuxième question pour vous aujourd'hui, qui est, bon, il y a une diversité, souvent on la simplifie en disant qu'il y a des Premières Nations au pays, il y a des Métis, il y a des Inuits, et même si on les associe tous sous le chapeau « autochtone », il y a beaucoup de différences entre les groupes et il y a beaucoup de différences entre les nations et les communautés qui forment ces ensembles-là. Peut-être, pouvez-vous nous parler un petit peu de qu'est-ce sont les principales différences ou les principaux points communs ou les éléments de divergence quand ça vient à la question de la santé des peuples autochtones? Est-ce qu'il y a des éléments que, peut-être vous êtes plus en mesure de parler de votre point de vue dans votre contexte, mais ce serait pour notre audience de bien comprendre quand on parle de ce concept-là, qu'il y a probablement des différences essentielles qu'il faut prendre en considération par rapport aux différents groupes, mais vous avez déjà alludé, Docteur Vollant, aux différences entre les gens des communautés où ils sont situés au Canada ou au Québec et leur situation socioéconomique. Donc, je vais peut-être commencer avec le chef régional Picard.

Ghislain Picard : Oui, merci beaucoup, c'est un élément extrêmement important, je dirais même incontournable, ça rejoint un peu ce que mon ami le docteur Vollant disait un peu plus tôt sur la perception populaire et générale à l'effet que tous les peuples autochtones sont similaires. C'est clair pour moi que, autant au niveau de notre situation générale qu'au niveau de nos aspirations, on est tous dans la même convergence et, pour moi, le meilleur exemple, c'est sans doute le consensus créé autour de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Mais cela dit, je pense quand même dans le contexte actuel qui prévaut depuis déjà plusieurs mois, et ça c'est un élément important parce que non seulement on a une opportunité autochtone et canadienne d'être devant un défi similaire, qui est la pandémie, depuis mars dernier, mais ça met également en évidence des aspects extrêmement importants; pour nous, ce n'est pas nouveau, ça fait des décennies qu'on parle d'une situation qui est de loin différente du reste du pays. Au niveau par exemple... je parlais, on parlait un peu plus tôt du territoire, puis pour nous, le territoire, c'est un tout, ça inclut également notre responsabilité d'en prendre soin parce que le territoire prend soin de nous. Mais cela étant dit, dans un contexte un peu plus contemporain, bien il y a quand même, tous groupes confondus, des défis qui sont quand même relativement similaires. C'est sûr que, où je suis, à Kahnawake, je fais une comparaison avec nos consœurs et confrères inuits au Nouveau Québec, il y a une différence parce qu'il y a une question d'accessibilité là, d'accès aux services qui est nettement différente, mais en même temps, parce qu'on est au Québec, bien, pour Kahnawake, il peut y avoir un autre défi qui est relié à la langue parce que la grande, très grande majorité de la population ici parle comme deuxième langue l'anglais. Donc, il faut s'adapter à un système de santé qui est géré par le gouvernement du Québec et qui n'est peut-être pas adapté à la réalité des Premières Nations qui ont la langue anglaise comme deuxième langue. Mais ceci étant dit, je pense qu'il y a quand même des traits où tout le monde se reconnaît, je pense au surpeuplement des logements, et ça, c'est un aspect, je pense, qui a été relevé par la crise pandémique parce que, ce qu'il faut savoir, c'est que c'est vrai pour le Québec, c'est sans doute la même chose pour le reste du pays, le taux d'occupation de nos logements est à peu près le double du taux représenté au niveau du Québec. Ça, c'est très, très important. Donc, en moyenne on parle de huit, peut-être huit personnes par logement alors qu'au nord-est du Québec, c'est plus autour de trois, quatre personnes. Donc, ça, c'est des éléments qui sont à mes yeux extrêmement importants dans le contexte qui prévaut actuellement et sans parler du taux de maladies chroniques, beaucoup au niveau cardiovasculaire, c'est extrêmement important, le diabète, c'est la marée haute depuis trop longtemps puis je pense que le docteur Vollant en sait très certainement quelque chose et pour moi, il y a... les différences sont surtout marquées par l'accès aux services, donc la réalité que j'appellerais peut-être un peu plus géopolitique.

Sony Perron : Parfait, merci. Au niveau des déterminants de la santé, ce que vous nous dites essentiellement, c'est les mêmes défis pour tout le monde, accentués dépendant de leur localisation. Merci beaucoup de nous avoir amené une approche beaucoup plus large que... souvent je pense que peut-être qu'on avait des gens avec nous aujourd'hui qui venaient parler de santé puis qu'on allait parler de salle d'urgence et d'ambulance et d'hôpital, mais vous nous ramenez dans une vision plus holistique de la santé, ce qui est extraordinaire, et je souligne aussi le fait que vous nous avez parlé de santé environnementale, qui est un concept totalement européen, mais qui existait déjà chez les nations autochtones avant l'arrivée des Européens ici, donc quelque chose qu'on a appris ou sur lesquels on a été éveillé par nos confrères et consœurs autochtones du pays, qui avaient déjà une grande préoccupation pour la connexion entre l'environnement et la santé. Docteur Vollant.

Stanley Vollant : Je vais aller aussi de façon holistique un peu, cette approche-là qui est propre aux Premières Nations, où la santé n'est pas que physique, elle est aussi mentale, physique et spirituelle. Donc, c'est un ensemble qui permet à un individu d'être en santé. Je vais vous donner un exemple, qu'est-ce que la santé holistique? Comment ça peut impacter? Quelqu'un qui se fait amputer de façon accidentelle va voir des impacts au niveau mental. Bon, il vient de perdre un membre, il vient de... il doit faire le deuil, donc ça a des impacts aussi au niveau émotif, il va avoir probablement de la frustration, des conflits avec ses frères, ses sœurs, ses parents, ses voisins et ça peut amener aussi une remise en question de toute sa spiritualité. Donc, l'importance de voir l'individu comme un tout, moi, je suis un chirurgien, c'est sûr que certains de mes collègues opèrent un foie, un poumon, mais oublient l'individu, donc l'individu est plus qu'un morceau de viande. Donc cet aspect-là est très, très important au niveau holistique. Et là je vais vous parler d'une anecdote, une histoire que j'ai vécue personnellement, pour vous démontrer un peu le rôle déterminant de la santé sur la santé des Premières Nations. Moi, je m'intéresse à la santé des Premières Nations depuis 84, depuis que je suis rentré en médecine. J'ai lu les statistiques sur les Premières Nations, le taux de diabète qui est en augmentation, la santé cardiovasculaire, comme le chef Picard l'a dit. La maladie cardiaque était inconnue de nos ancêtres et aujourd'hui elle est une des causes de mortalité principales et on m'a donné, dans les années 90, fin des années 90, début des années 2000... je fais une lecture, je prends un journal quelconque, un journal de CMAJ, Canadian Medical Association Journal, le journal de l'Association médicale canadienne et là je passe... je vois un article et je passe tout de suite à la conclusion. J'avais... je voulais faire ça vite et je lis la conclusion. On parle de taux de diabète des peuples... indigenous people – c'était en anglais – et le taux de diabète qui est élevé, le taux de maladies cardiaques, le taux de dépression, le taux de violence dans les communautés et là je dis « cet article-là n'amène rien de nouveau. C'est toutes des choses qui sont connues » et là je tourne à la première page pour connaître les auteurs et c'était un article qui était tiré d'un article sur le peuple maori de Nouvelle‑Zélande et je me suis intéressé à la santé des aborigènes d'Australie et c'est la même chose, c'est un papier collé; les mêmes problématiques de santé, trois continents différents, des origines ethniques et génétiques tout à fait différents, parce que souvent les gens disent « bon, c'est génétique, le truc des diabètes chez les Autochtones, le truc de maladie cardiaque, la santé mentale... ». Mais pourquoi sur trois continents différents, trois racines génétiques différentes, on a les mêmes problématiques? Et les dénominateurs communs sont la colonisation, la christianisation de ces peuples-là et les pensionnats, parce que les trois... au Canada on a connu les pensionnats, aux États‑Unis aussi, on a connu les pensionnats chez les Maoris et aussi en Australie, le régime britannique, c'était une façon de pouvoir... de tuer l'Aborigène, l'Indien, le Maori, le faire devenir un citoyen britannique ou canadien ou whatever pour le... enlever la racine indigène de ces gens-là. Donc, et pour moi, ça m'a frappé. J'ai vraiment... mon côté médecin qui pensait que c'est tout relié à des côtés physiques... j'ai commencé à penser que les déterminants de la santé étaient encore plus importants : l'éducation, l'économie, le racisme systémique – on en parle, on en parle de plus en plus, mais c'était déjà un sujet qui était déjà sur la table avant la pandémie, avant l'affaire Echaquan, ça a toujours été un problématique importante et l'accès aux soins culturellement sécuritaires, et ça, ça fait des années. Mes grands-parents, mes arrière-parents ont eu des difficultés d'accès sécuritaire, on ressent cette insécurité-là, on ne se sent pas respectés dans nos soins de santé, on a des problèmes à accéder aux soins de santé. Donc, voici de façon globale ce que je pense au niveau de ce qui nous relie comme peuples des Premières Nations et qui nous relie aux peuples indigènes du monde, en fait, qui sont les mêmes problématiques, qui sont les déterminants de la santé et le racisme systémique.

Sony Perron : Merci beaucoup. C'est un exemple extrêmement intéressant qui nous rappelle que, souvent, on a tendance à simplifier les problèmes en associant un problème à une condition génétique et, ce que vous nous montrez là, c'est essentiellement que c'est une hypothèse qui est totalement fausse et erronée et ça fait partie de notre éducation de changer ces paradigmes-là, de s'ajuster et d'être très, très humbles, peut-être même suspicieux quand les solutions et les conclusions semblent trop simples comme celles-là pour décrire un problème. Je vous remercie beaucoup là-dessus. Vous êtes tous les deux membres d'une nation innue de la Côte-Nord du Québec. Est-ce qu'il y a des enjeux particuliers ou des situations particulières qui sont propres aux peuples innus du Québec, que ce serait intéressant pour nos participants aujourd'hui d'être au courant? Peut-être comment les nations ont réagi à la pandémie dans laquelle on vit toujours? Est-ce qu'il y a des situations ou des événements que vous voudriez porter à l'attention de notre auditoire aujourd'hui? Peut-être qu'on peut retourner au docteur Vollant?

Stanley Vollant : Au niveau des peuples innus, bon, le peuple innu est très diversifié. Comme j'ai dit, on ne peut pas nous considérer comme un monolithe. Le peuple innu est très différent. Il y a des peuples, des nations qui sont proches de centres urbains, par exemple Mashteuiatsh qui est à côté de Roberval, Uashat mak Mani-Utenam, qui sont proches de Sept-Îles, et des communautés innues qui sont très éloignées comme Pakuashipi où il faut faire de l'avion, du bateau ou peut-être, comme moi, se rendre à pied, en traîneau en hiver... et donc les défis de santé sont très, très différents. L'accès aux soins de santé peut être problématique pour certaines de nos communautés et je pense que... j'ai marché près de 7000 kilomètres, j'ai rencontré toutes les nations innues et ce que je peux vous dire, ce qu'on m'a dit tout le temps, ce que j'ai entendu parler, c'est vraiment la difficulté d'avoir des soins... accès à des soins de santé qui sont culturellement sécuritaires. De multiples fois, je me suis fait parler de problématiques de racisme systémique rencontré dans les milieux de soins, dans les hôpitaux, dans les cliniques où les gens retardent de venir à l'hôpital ou dans les cliniques parce qu'ils ont peur de consulter des gens qui ne les respectent pas ou qu'ils ont l'impression qu'ils ne les respectent pas, donc ça amène des retards de diagnostic. Et ça, je peux vous dire qu'au niveau du diabète, si on ne va pas voir son médecin pour son... son... ce qu'on appelle le checkup parce qu'on a peur de faire face à du racisme, ça peut retarder le diagnostic de diabète et c'est reconnu dans la littérature canadienne, américaine que le retard diagnostic chez les Premières Nations est de 7 à 10 ans de différence et ça peut amener des complications importantes au niveau rénal, donc l'insuffisance rénale est beaucoup plus élevée, trois, quatre fois plus élevée chez les Autochtones, des complications cardiaques, des complications d'amputation qui sont trois, quatre fois plus élevées chez un même diabétique autochtone que non autochtone. Donc, un retard diagnostic parce qu'on ne se sent pas sécuritaire et donc d'où... et même les gens qui habitent à Mashteuiatsh, qui sont à un jet de pierre de l'hôpital de Roberval, n'osent pas aller à l'hôpital parce qu'ils ont peur de faire face au racisme systémique. Donc, la même chose là, le retard de diagnostic, d'où l'importance de... que le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada reconnaissent l'accès à des soins culturellement sécuritaires et là je vais ajouter tout de suite le concept du principe de Joyce Echaquan, le principe de Joyce que je pense que le grand chef a parlé tantôt parce que c'est un cheval de bataille. Bien je pense que c'est un principe très important, avoir accès à des soins sécuritaires culturellement pour tous les Autochtones et pour toute la diversité canadienne, je pense que, qu'on soit musulman, qu'on soit de la communauté LBGQ2, on a des... on fait face à de la discrimination et je pense que le principe d'Echaquan, le principe qu'on commence par les Premières Nations pourra être étendu à l'ensemble de la diversité canadienne, être bénéfique pour tous les Canadiens/Canadiennes.

Sony Perron: Merci, Docteur Vollant, d'avoir mis la lumière sur ce concept‑là de sécurité culturelle dans les soins de santé. C'est peut-être pas quelque chose que naturellement les gens comprennent parce qu'ils ont peut-être vécu des expériences très favorables dans le système de santé et pensent qu'on vit dans un monde idéal. Merci d'apporter cet angle-là qui est très particulier et en plus de l'illustrer que c'est peut-être pas seulement les peuples autochtones qui vivent un enjeu de sécurité culturelle dans le système de santé. Je vous remercie beaucoup. Chef Picard.

Ghislain Picard : Oui, merci beaucoup pour... en fait c'est une question, mais c'est aussi, je pense, un rappel que les défis sont énormes, sont immenses et... mais sachez que, comme peuple autochtone, l'ironie, c'est qu'on est très confortables dans l'adversité et... parce que... je veux dire ça nous donne une raison pour poursuivre un objectif qui, à nos yeux, est indéniable et je suis... je demeure extrêmement optimiste qu'on va... qu'on est pas loin de l'objectif. Cela dit, je suis... évidemment, je suis né innu puis je vais mourir innu, mais en même temps ça fait trop longtemps que j'ai la responsabilité d'être à l'écoute des chefs et des nations que je représente, donc avec le temps j'ai appris à essayer, selon les situations, de penser en Anishnabe, de penser en Mohawk et de penser... je veux dire au même titre que les autres nations qui font partie de notre grande et belle diversité. Et ça c'est un élément important parce que ça nous permet de finalement avoir une meilleure... être en mesure de prendre vraiment le pouls véritable de notre population, je pense. Et parce qu'on en parle, bien, la nation attikamek a déposé le principe de Joyce, ça fait deux semaines maintenant, auprès du gouvernement du Québec et on fait face à un gouvernement qui est nettement, nettement dans un déni total par rapport au racisme systémique et je trouve ça extrêmement... extrêmement préoccupant et inquiétant pour la suite des choses parce que pourquoi se buter à une notion finalement qui fait l'unanimité, même au niveau planétaire? Et c'est là que je me bute à essayer de comprendre la logique au niveau... au niveau politique et ce que je dis souvent de plus en plus d'ailleurs, c'est qu'on parle de la population canadienne et québécoise comme étant une population un peu cynique par rapport à la réalité politique. Je dirais qu'on a encore plus de raisons que vous, comme Canadien ou Québécois, d'être encore plus cynique parce qu'on a tellement de rendez-vous manqués. Et écoutez, je... parce qu'on en parle, ça me rappelle le rapport qui a été rendu public hier, en Colombie-Britannique sur la signature de Mary Ellen Turpel Lafond, qui est une ancienne collègue, une proche, et qui s'est penchée sur des allégations de gestes racistes posés par les représentants du réseau de la santé en Colombie-Britannique qui... les allégations remontent à juin dernier, on disait que le personnel faisait des gageures sur le taux d'alcoolémie des patients autochtones. Même si le rapport n'a pas confirmé ou n'a pas réussi à confirmer ces allégations-là, le rapport dit quand même que le racisme, et le racisme au sein du système, est prévalent partout dans la province. Donc, je pense que le gouvernement du Québec devrait prendre la peine de regarder ce qui se passe ailleurs et de trouver des façons d'enrayer un mal qui est beaucoup trop répandu. Et ce qui arrive, c'est que c'est nos populations finalement, avec le taux de vulnérabilité, la vulnérabilité puis les taux de maladies chroniques, qui font les frais d'un réseau de santé qui ne reconnaît pas leurs spécificités. Vous parlez de sécurisation culturelle, c'est la première... le premier élément qui devrait vraiment être garanti au sein du réseau de la santé au niveau canadien, au niveau du Québec. Et pour moi, ça passe par là. Donc, sur le plan politique, on est devant ce défi-là : comment faire... comment conditionner, finalement, les positions gouvernementales à cette reconnaissance-là du système... du racisme systémique sans se retrouver à la merci d'un processus politique finalement qui nous contourne systématiquement. Je pense que c'est un peu là que ma réflexion se pose actuellement et sachez que je pense que, si on disait au gouvernement du Québec aujourd'hui, « bien, écoutez, on va continuer à se battre... on ne peut pas adhérer à un processus politique s'il n'y a pas, au départ, une reconnaissance du racisme systématique ». Je pense qu'il n'y a personne qui verrait de... tellement de pertes si c'était la position politique qui était envisagée.

Sony Perron : Jusqu'au prochain incident où on se demanderait ce qui ne s'est pas passé encore une fois, donc l'incident ou la situation malheureuse autour de Joyce Echaquan a créé une onde de choc, mais c'était pas nécessairement une surprise dans le sens où les effets de l'insécurité culturelle dans le système de santé, vous les aviez déjà vus, ils s'étaient déjà illustrés par des incidents. Maintenant, il y a une balle à saisir au bon. Peut-être pour nos auditeurs...

Ghislain Picard : Je peux me permettre d'ajouter quelque chose...

Paroles inaudibles

Ghislain Picard :... parce que vous faites référence à la situation dont nous avons été tous témoins à Joliette. Je rappellerai qu'aujourd'hui encore, l'infirmière qui a proféré les propos racistes à l'endroit de Joyce, elle est toujours en service. C'est dire il n'y a rien qui enlève son permis de pratique. La même chose pour Monsieur Castonguay qui est le patron du CIUSSS de Lanaudière. Même si ça a été démontré qu'il était au courant de la situation à Joliette il y a deux ans, il est toujours en service aujourd'hui. Donc, c'est là que... je veux dire comme si c'était pas assez de prendre le pouls de cette vague de racisme qui sévit chez nous, bien, il y a... c'est comme si on ajoutait un peu l'insulte à l'injure... ou l'injure à l'insulte, et je pense que ça, c'est important également de se le rappeler, puis d'ailleurs c'est ce qui a fait que l'APNQL a déposé son propre plan de lutte contre le racisme parce que, finalement, on appelle à une mobilisation populaire plutôt qu'à une mobilisation politique parce que, au niveau politique, l'écoute est pas au rendez-vous.

Sony Perron : Merci. Peut-être pour notre audience, on a encore trois, quatre minutes avant de commencer à prendre les questions qui nous viennent des gens. Est-ce que vous voulez peut-être illustrer pour nos gens qu'est-ce que ça veut dire, la sécurité culturelle dans le quotidien, dans l'accès aux services et les endroits où on peut bâtir ça? Vous, comme enseignant, Docteur Vollant, vous, comme leader politique, il y a du personnel dans les institutions, il y a des institutions, il y a de l'organisation des systèmes de santé, je le sais des systèmes parce qu'on n'a pas un seul de système de santé au pays, il y a des composantes très différentes... Où est-ce qu'on commence? Quelles sont les mesures clés qu'on pourrait prendre pour bâtir cette sécurité culturelle là dans le service au quotidien? Docteur Vollant.

Stanley Vollant : Juste pour faire l'historique un peu sur la sécurisation culturelle, sur le cultural safety, c'est une notion qui a été développée par le peuple maori au début des années 90. En fait l'association des infirmières praticiennes maories avait développé, parce qu'eux autres aussi vivent la même problématique et ont établi des critères pour aller de l'avant. En fait, la sécurisation culturelle est au-delà de... on peut avoir des connaissances sur les statistiques des Premières Nations, connaître un peu le structure de santé. On peut être sensibles, je pense, c'est important d'être sensible à cette différence-là, on peut développer des compétences, mais la sécurisation culturelle, c'est l'ensemble de tous ces éléments-là qui définit des lieux de pratique de la santé qui sont sécuritaires culturellement où un Autochtone vient dans une clinique où il sait que la secrétaire, que les gens qui travaillent, qui sont les médecins, les infirmières, les gens qui travaillent autour de lui sont des gens qui reconnaissent la différence, qui sont sensibles, qui sont respectueux. Donc, cette personne-là vient et les interactions sont positives à tous les niveaux. Les gens qui travaillent là apprennent la culture des Premières Nations et les gens des Premières Nations, les gens autochtones, en bénéficient. Donc, c'est vraiment un environnement qui est sécuritaire et qu'on devrait aller au-delà de la santé et on devrait développer des environnements sécuritaires culturellement au niveau de l'éducation parce que, quand j'étais à l'école, je me suis fait traiter « sauvage » près de 2000 fois et plus, de tous les noms. La même chose pour Ghislain, le racisme est vécu dans tous nos milieux de vie et, encore aujourd'hui, l'insécurité culturelle en éducation provoque le décrochage scolaire. Quand tu te fais insulter à tous les jours, bien peut-être que tu vas retourner dans ta communauté au lieu de construire, persévérer dans ton éducation. Au niveau de la justice, c'est la même chose. Donc, tous les cadres de vie devraient être culturellement sécuritaires, pas juste la santé. Donc... et comment qu'on peut établir ça? C'est en ayant une meilleure formation des gens, donc la formation des infirmières, des médecins, des secrétaires, des employés de soutien. Dans les facultés de médecine, on le fait depuis 2005, mais on le fait... je pense qu'on pourrait encore améliorer. Donc, il y a des cours qui sont donnés aux futurs médecins pour que tous les médecins canadiens puissent avoir des interactions positives avec les Premières Nations. De toute évidence, à Joliette, ça a pas bien marché. Et je pense que c'est... il faut investir aussi dans ce cadre-là et je pense qu'il faut peut-être aussi, pour surveiller si l'institution est sécuritaire culturellement, qu'il y ait un ombudsman qui soit engagé, qui s'assure que tout est fait pour que la clientèle de la diversité des Autochtones puisse être traitée de façon sécuritaire. Donc, ça, c'est des éléments, et je pense qu'il y a une autre chose qu'il faut mentionner : dans les villes, 50 % des Autochtones au Québec vivent dans les villes, 60 % quasiment au Canada, donc on n'habite plus seulement dans les communautés éloignées, dans les communautés moins éloignées, on habite dans les villes. Il y a plus de 20 000 Autochtones à Montréal. Donc, peut-être l'importance de développer des cliniques urbaines autochtones comme à l'image de l'Ontario. En Ontario, il y a plus de 14 cliniques financées par le provincial et le fédéral dont celle qui est le plus connue, c'est la clinique Wabano dans Vanier, proche de l'Hôpital Montfort, qui est un exemple à suivre, je pense, et au Québec on n'a aucune clinique de cette envergure-là. Je pense que les gouvernements provinciaux devraient investir plus soigner les gens qui sont en ville parce qu'un Autochtone, bien c'est ça, il y a toujours des... il y a comme la différence entre la responsabilité fédérale et provinciale, mais quand un Autochtone est malade dans la ville, bien il va dans les hôpitaux, dans les cliniques. Donc, il faut vraiment, comme, enlever cette frontière-là entre le financement provincial et fédéral, donc je vais m'arrêter ici. Je vais laisser Ghislain compléter.

Sony Perron : Merci beaucoup. Chef Picard?

Ghislain Picard : Oui, bien, ça me permet d'ajouter exactement à ce que Stanley nous décrit de façon vraiment éloquente, le fait que, posé simplement, le principe de la sécurisation culturelle, c'est... c'est vraiment comment... comment le système de santé s'adapte à notre réalité plutôt que le contraire. C'est... c'est très basic en bon français. Et c'est ça qu'il nous faut garantir, c'est-à-dire, c'est ça qu'il nous faut atteindre comme... comme idéal. Et ça, ça passe aussi beaucoup par, finalement, combattre, ce n'est peut-être pas le bon terme, mais engager les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral avec un rapport de force qui n'est pas au rendez-vous aujourd'hui. Alors que, on se... on combat des politiques qui n'ont pas été dessinées par nous, par le gouvernement trop souvent, et on est encore dans ce réflexe-là alors qu'on cherche à vraiment assurer toutes les conditions nécessaires, et je reviens à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui, je crois que c'est à l'article 19, finalement, nous consent ce droit-là, reconnaît plutôt ce droit-là, de pouvoir créer nos propres institutions, de pouvoir les maintenir. Et ça, c'est des éléments, je pense, qui sont extrêmement essentiels et ça passe par – là on discute, je pense même qu'on est à peut-être deux jours ou une journée du dépôt de loi, d'un projet de loi fédérale sur la reconnaissance de la Déclaration et sa mise en œuvre. Donc, c'est aussi ces conditions-là, si elles sont remplies, qui vont permettre peut-être d'assurer que nos notions prennent leur place. Écoutez, ironiquement, je me souviens d'une époque, ça fait déjà plusieurs années, où dans certains hôpitaux au Québec, il était possible pour un aîné d'une Première Nation de recevoir un service d'interprète – je sais que Stanley sait de quoi je parle parce qu'il l'a fait lui-même, en plus d'être médecin-chirurgien – c'était possible non seulement de recevoir des services d'interprète pour faciliter la communication entre le personnel et le patient, souvent une ou un aîné, et c'était même possible pour ces personnes-là de leur procurer finalement la possibilité d'avoir accès à une diète traditionnelle, une diète à laquelle ils étaient beaucoup plus familiers. Et ça, ça fait déjà quelques années. Pour moi, ça aurait dû être des acquis qui nous auraient permis d'ajouter à cela aujourd'hui, alors que moi, je trouve qu'on est en... au lieu qu'il y ait une progression, bien il y a une régression et je trouve ça extrêmement, extrêmement préoccupant.

Sony Perron : Excellent. Merci beaucoup pour ça. On voit des réactions des gens qui sont dans l'auditoire qui nous envoient des questions et une question qui se rattache un peu au concept de sécurité culturelle, mais qui est en amont, c'est la question des traumatismes historiques. Et pouvez-vous peut-être nous parler un petit peu de comment les traumatismes historiques – puis même qu'est-ce que sont les traumatismes historiques – influencent l'accès à la santé? Docteur Vollant, vous avez dit tout à l'heure qu'il y a des gens qui hésitent à aller consulter parce que les services sont pas adéquats, mais il y a aussi des raisons pourquoi ils hésitent. J'aimerais peut-être vous entendre brièvement sur ce concept-là parce que je pense que, pour notre auditoire, c'est important qu'ils saisissent qu'il y a quelque chose qui commence pas hier dans la relation entre les autochtones et les services publics. Docteur Vollant, voulez-vous vous lancer sur celle-là?

Stanley Vollant : Ouais, je vais me lancer là-dedans. Donc, des traumatismes historiques, je pense que le... un des traumatismes historiques qui a été longtemps ignoré, et même par moi, parce que, bon peut-être Ghislain est juste un petit peu plus vieux que moi, mais pendant des années le... le traumatisme des pensionnats, je ne savais pas, ce qui s'est passé au pensionnat. Je savais que ma mère avait été au pensionnat. Je savais que la génération de ma mère avait été au pensionnat, mais on n'en parlait pas. C'était comme... c'était du non-dit puis des choses qui étaient pas dites. Ma mère est morte d'alcoolisme parce que c'est sa façon... sa façon un peu de noyer tout ce qu'elle avait vécu au pensionnat. Elle a été abusée sexuellement à deux reprises quand elle était jeune puis ça a été sa façon un peu de pouvoir s'automédicamenter. Donc, quand j'ai appris dans les années 2000 les pensionnats et tout ce qui se faisait dans les pensionnats, j'ai compris beaucoup de choses sur ma mère et j'ai compris beaucoup de choses sur les gens que je connaissais, sur les traumatismes qu'ils avaient vécus. Et ça, ça perdure encore et il y a un traumatisme qui est transgénérationnel, qui se fait de génération en génération. Quand tu as été élevé dans la violence, bien il y a des bonnes chances que tu élèves tes enfants dans la violence, c'est comme... ça se reproduit de génération en génération et notre rôle, et mon rôle, c'est de stopper cette violence-là qui est transmise d'une génération à l'autre. Je vais donner juste un petit exemple : j'ai été pendant quatre jours dans un pensionnat dans les années 77. Je voulais jouer pour les Indiens du Québec. J'étais un joueur de hockey. J'étais à La Tuque et pendant quatre jours j'ai été au pensionnat, puis au bout de quatre jours j'ai appelé ma mère, j'ai dit « sors-moi de là ». Puis, il y avait une violence qui était institutionnelle, on se battait entre jeunes autochtones pour savoir qui était la place du plus fort, qui était le plus fort dans la gang. Je suis sûr qu'au bout de cinq ans, je serais pas mal devenu, pas mal un être plus violent que je peux l'être, puis ça m'aurait changé. Donc, et sans même m'être... me faire violenter physiquement, sexuellement, psychologiquement, l'ambiance était... favorisait cette... ce type-là. Donc, les jeunes étaient sortis de la communauté, le plus loin possible, puis devenaient des gens qui étaient changés. Donc, les pensionnats, on en a encore, on le vit encore aujourd'hui en 2020, on va le vivre encore pendant quelques générations. Je pense que c'est un élément très important à connaître et à reconnaître et aussi à continuer à guérir.

Sony Perron : Chef Picard, voulez-vous ajouter sur ce point-là?

Ghislain Picard : Oui, oui. Mais pas... pas beaucoup de choses à ajouter. Je pense que c'est très, c'est très complet, très informatif comme... comme réponse. Avant 92, il y a personne qui parlait des pensionnats indiens. C'était... c'était tabou. C'était... il y a plusieurs... plusieurs, je dirais, chapitres de l'histoire canadienne qui sont comme ça aujourd'hui, hein? On... mais là, depuis quelques années, on est en train de mettre ces tabous-là à terre et on est en train de finalement connaître le vrai visage de l'histoire et vous parliez un peu plus tôt de... des grands premiers ministres, des grands noms de l'histoire qui... écoutez, je suis à quelques quinzaines de minutes de Montréal, on a, avec la collaboration de la Ville, changé le nom d'une rue à Montréal. On a tassé le colonel Amherst et on l'a remplacé par un nom adodoge, c'est... qui est mohawk et qui est collaboration mohawk-anishnabe et la Ville de Montréal. Donc, je pense que, ça, c'est... ça ajoute à la... au processus de guérison de nos communautés. Les pensionnats indiens, je veux dire, ça a été prouvé de toutes les façons possibles que, les traumatismes sont intergénérationnels, donc passent d'une génération à la suivante. Et ça, c'est là qu'il est important de comprendre le processus de guérison. Il faut lui donner le temps qui lui est nécessaire et on parle... on parlait plus tôt de la crainte de nos populations de consulter. Combien d'histoires que j'ai entendues de personnes qui... qui encaissent leur mal, qui tolèrent leur mal parce qu'ils ont peur. Ils ont peur de se présenter dans un centre de santé. Mais le pire là-dedans, pour moi, c'est le fait que, aujourd'hui, bien, je vais dire, avec la colonisation, bien, on normalise certaines situations. C'est très, très, très ironique, ce que je dis là, c'est que les patients qui vont aller à l'hôpital ou un centre de santé et qui vont se faire traiter de façon différente que le patient canadien ou québécois et qui vont dire « bien, O.K., c'est correct. C'est normal », ils sont comme ça. Et ça, je trouve ça extrêmement triste et pénible d'entendre ce genre de témoignage là, puis je pense à l'hôpital de Baie-Comeau qui est l'hôpital le plus à proximité dans notre communauté, puis j'ai entendu des témoignages comme ça. Et donc, il y a beaucoup, je pense... Stanley parlait de l'importance de l'éducation, je pense que c'est un aspect extrêmement important pour toutes les personnes qui sont appelées finalement à non seulement travailler dans le réseau de la santé, mais de façon plus générale.

Sony Perron : Merci beaucoup. Vos interventions sont très généreuses. On est à 11 h 53, il nous reste quelques minutes, fait que je vais peut-être vous interpeller sur votre mot de la fin, le message que vous voulez que notre audience retienne, en soulignant qu'on a des... c'est des fonctionnaires fédéraux, donc qui sont un peu à distance du quotidien des systèmes de santé provinciaux, mais pas tous. Donc, juste nous dire, peut-être nous rappeler les choses que vous voudriez que les 800 personnes qui sont avec nous aujourd'hui se souviennent et la contribution qu'ils peuvent apporter à l'amélioration des choses et des systèmes de santé dans le futur pour mieux servir les peuples et les nations autochtones. Peut-être je vais commencer avec vous, Chef Picard, et je finirai avec le docteur Vollant.

Ghislain Picard : Oui, bien je vais y aller parce que... parce qu'on a quelques minutes devant nous avec peut-être un petit message publicitaire et juste pour faire la promotion finalement d'un plan qui... que nous avons rendu public le 29 septembre dernier et... et une autre ironie, c'est que, on a rendu public le plan le lendemain du décès de Joyce Echaquan et je pense que c'est venu renforcer l'idée que... que finalement si on ne prend pas les choses en main, et on l'a vu avec George Floyd, l'espèce de vague populaire depuis plusieurs mois, qui continue d'ailleurs à occuper la place, et le plan, c'est le plan de lutte des Premières Nations pour lutter contre le racisme et la discrimination. Et c'est un plan qui appelle à la création d'alliances. Écoutez, au moment où je vous parle, il y a beaucoup de... nous recevons beaucoup, beaucoup d'appels de personnes, des fois, des individus, qui voient pas l'importance de leur initiative même si c'est sur une base individuelle, mais il y a également le réseau de la santé, le réseau des universités, le réseau de l'enseignement, le milieu municipal au niveau du Québec, qui est fortement mobilisé également, et tout ça pour dire que... je veux dire, on ne parle pas du... de la classe politique, ce n'est pas pour l'éviter, mais je pense qu'on se doit de nous interpeller soi-même, entre nous, comme société. Et c'est vraiment à nous qu'appartient la responsabilité de faire en sorte que les choses changent et c'est dans cet esprit-là que le plan a été annoncé le 29 septembre dernier et on poursuit notre route. On a eu un webinaire avec les municipalités il y a deux semaines. Il y aura un webinaire dans deux semaines avec le milieu des médias, un partenaire extrêmement important, et pour nous, c'est par là aussi que ça passe, notre changement. Je pense que la volonté puis l'objectif ultime, c'est la cohabitation dans l'harmonie. Et donc ça passe par une meilleure connaissance de soi.

Sony Perron : Merci beaucoup. Docteur Vollant.

Stanley Vollant : Je vais renchérir sur ce que le grand chef Picard a dit. Je pense que l'éducation... je pense que, je m'adresse aux 800 personnes qui sont là, donc je vous demande de continuer votre éducation sur les Premières Nations. Il y a plusieurs belles lectures à faire sur la toile du web. Au niveau de la santé, il y a un document très, très intéressant de la société d'obstétrique, de la gynéco-obstétrique du Canada (SOGC), sur la santé des Premières Nations, un document extensif. Ça permet de connaître l'histoire, la culture, les impacts de la colonisation, les pensionnats, donc la médecine holistique. Donc, continuez votre éducation et devenez des partenaires avec nous, Premières Nations. Donc, parlez aux gens autour de vous. C'est sûr que je vous aurais dit « lors du repas de Noël, parlez-en à vos gens », mais ça sera pas possible, mes chers amis, on va devoir être en solo, mais partagez, je pense, cet intérêt-là, d'apprendre à se connaître et de devenir des partenaires égaux et je pense que, lorsqu'on pourra être égaux, qu'on aura décolonisé nos relations – décoloniser nos relations, c'est se traiter en égal, en égaux, plus de supérieurs à inférieurs – on pourra à ce moment-là développer un pays impo... un pays qui sera riche, qui pourra donner la possibilité à tous ces jeunes, peu importe leur couleur de peau, leur langue, la possibilité de pouvoir développer leur plein potentiel. Donc, ouvrez-vous, essayez d'être plus sensibles aux Premières Nations. Devenez des avocats pour nous, parce qu'on a besoin de vous pour qu'on puisse aller de l'avant et qu'on puisse... un jour, moi, j'ai... j'ai une vision, j'ai un rêve qui ne se réalisera pas de mon vivant, c'est que les Premières Nations puissent avoir le même statut économique, de santé et social que le restant des Canadiens et Canadiennes. Mes enfants risquent de le voir; aidez-nous à ce que ce rêve-là se réalise. ???

Sony Perron : Merci beaucoup. Vous avez été extrêmement généreux aujourd'hui avec votre temps, mais avec vos commentaires, vos invitations, je retiens le message politique, le message du médecin. On avait un équilibre, un panel très équilibré aujourd'hui, qui s'est très bien complété, c'était extraordinaire. Je retiens trois choses : l'humilité, on a beaucoup à apprendre, on peut être des alliés, le chemin est long, mais on devrait pas être moins ambitieux que le rêve du docteur Vollant dans ce qu'on voudrait accomplir. J'espère que, dans douze mois, donc décembre 2021, on pourrait refaire une session comme ça avec vous, avec d'autres panélistes pour nous parler de la même chose puis de parler de qu'est-ce qu'on a accompli dans cette dernière année-là et si a on a été capable de dire « bien, il y a eu des choses qui ont changé sérieusement » parce que si on veut atteindre des résultats socioéconomiques, des indicateurs de santé qui sont favorables et équitables, il y a du travail à faire en avant de nous autres et j'espère que nos collègues qui se sont joints à nous vont prendre l'invitation. Merci beaucoup à vous deux. Pour ceux qui sont en écoute aujourd'hui, je voudrais vous souligner que le 3 décembre prochain, donc dans deux jours, à 11 h, à midi, il y a un autre café virtuel qui va porter sur les sondages, tout ce que vous voulez demander au sujet des sondages. On aura Anil Aurora, Claire Durand et Nik Nanos, qui se joindront à l'École de la Fonction publique pour cette session-là. Donc je vous invite à vous inscrire si ça vous intéresse. Le dernier point qui me reste, c'est d'inviter notre aînée, Commanda, Claudette, à nous faire la prière de fermeture. Merci beaucoup à vous deux, nos panélistes. Merci, Claudette, pour avoir accepté d'être là avec nous autres pour cette session-là. À la prochaine. Et, tout le monde, les vacances s'en viennent, il reste encore quelques semaines de travail, travaillez fort, mais restez prudents à la maison, et vous avez entendu le... notre invité qui est médecin aujourd'hui, le signal « on va célébrer, mais en solo », donc respectons les normes de santé publique, ça va protéger tout le monde à travers le pays. Claudette, on est tout à vous.

Claudette Commanda : Ce fut une discussion et un apprentissage très, très intéressants, donc [langue autochtone] Grand chef Picard, [langue autochtone] Docteur Vollant et toi aussi, Sony, [paroles autochtones]. Je vais faire une prière, une prière de remerciement. C'est comme mon grand-père, le chef William Commanda, a toujours dit : « lorsque vous commencez et que vous demandez l'aide du créateur et des esprits, nous devons fermer ce cercle et dire merci à notre créateur pour nous avoir aidés » et j'invite tout le monde à prononcer des mots de remerciement. [Langue autochtone] Prenez bien soin de vous. [Langue autochtone]

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