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Série L'avenir de la démocratie : Identité nationale et défis de la coopération démocratique (FON1-V22)

Description

Cet enregistrement d'événement porte sur les types d'identités nationales qui favorisent la coopération démocratique plutôt que de la miner.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 01:28:06
Publié : 28 novembre 2022
Type : Vidéo

Événement : Série L'avenir de la démocratie : Identité nationale et défis de la coopération démocratique


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Série L'avenir de la démocratie : Identité nationale et défis de la coopération démocratique

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Transcription : Série L'avenir de la démocratie : Identité nationale et défis de la coopération démocratique

[Une musique dramatique joue. La vidéo commence par une image animée d'une toile qui se forme. À mesure que les titres s'affichent, l'image fait un zoom arrière afin de montrer que la toile a couvert une carte du monde. Le titre du texte affiché à l'écran indique ce qui suit : « Canada School of Public Service/École de la fonction publique du Canada; And University of Toronto's Munk School of Global Affairs and Public Policy/Et l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques à l'Université de Toronto; Present Future of Democracy Series/Présente la série L'avenir de la démocratie; National Identity and the Challenges of Democratic Cooperation/Identité nationale et défis de la coopération démocratique »]

[Daniel Jean apparaît à l'écran. Le texte à l'écran indique « Gatineau, Québec »]

Daniel Jean : Bonjour tout le monde. Good morning, everyone. Je m'appelle Daniel Jean et je suis membre émérite de l'École de la fonction publique du Canada. Je suis ravi d'être le modérateur de l'événement d'aujourd'hui sur l'avenir de la démocratie. Je tiens d'abord à reconnaître que les terres sur lesquelles je me trouve et où a lieu la production font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anichinabé. Je suis conscient que les participants se joignent à nous à partir de divers endroits au pays, ce qui signifie que vous travaillez peut-être dans un territoire autochtone différent. Je vous encourage à réfléchir pendant quelques instants au territoire dans lequel vous vous trouvez. J'ai maintenant le plaisir de présenter l'événement d'aujourd'hui, intitulé Identité nationale et défis de la coopération démocratique, le troisième événement de la série L'avenir de la démocratie. Nous avons organisé une excellente discussion pour vous aujourd'hui et je tiens à ce que vous viviez la meilleure expérience possible.

Je passerai donc en revue certains points d'ordre administratif. Premièrement, l'événement d'aujourd'hui se déroule en anglais, mais une interprétation simultanée est offerte. Vous pouvez également avoir accès au service de sous-titrage en temps réel si vous désirez suivre la conversation dans la langue de votre choix. Veuillez examiner le symbole affiché à votre écran. Afin d'accéder à ces fonctions, veuillez cliquer sur leur icône respective directement à partir de l'interface de la webdiffusion. Vous pouvez aussi consulter le courriel de rappel que l'École de la fonction publique du Canada vous a envoyé. Afin d'optimiser votre expérience de visionnement, nous vous recommandons de vous déconnecter de votre réseau privé virtuel ou d'utiliser un dispositif personnel pour regarder la séance dans la mesure du possible. Si vous éprouvez des problèmes techniques, nous vous recommandons de rafraîchir le lien à la webdiffusion qui vous a été envoyé. Pendant l'événement, vous pouvez envoyer vos questions en tout temps en appuyant sur l'icône de main levée située au coin supérieur droit de votre écran.

Nous avons prévu du temps pour une période de questions et réponses à la fin de la séance. En fait, nous parlions aux conférenciers il y a quelques instants et nous tenterons de donner encore plus de temps pour répondre aux questions. Maintenant, sans plus tarder, commençons l'événement d'aujourd'hui avec une présentation de Francesca Polletta, professeure émérite de sociologie à l'Université de Californie, à Irvine. Nous devons remercier Francesca d'être avec nous si tôt, car il est sept heures du matin en Californie. Ses intérêts de recherche comprennent les mouvements sociaux, la démocratie, la culture, le genre et la théorie sociale. Son nouveau livre, intitulé Inventing the Ties That Bind: Imagine Relationships in Moral and Political Life, paraîtra sous peu. Voici donc une brève introduction de Francesca sur l'importance de la coopération pour l'avenir de la démocratie. Francesca?

[Francesca Polletta apparaît à l'écran. Le texte à l'écran indique : « National Identity and the Challenges of Democratic Cooperation/Identité nationale et défis de la coopération démocratique; Democratic Requirements/Exigences démocratiques »]

Francesca Polletta : Bonjour, je m'appelle Francesca Polletta. Je suis professeure émérite de sociologie à l'Université de Californie, à Irvine. Je tiens à remercier l'École Munk de me donner l'occasion de réfléchir avec vous aux défis de la coopération dans les démocraties modernes. Permettez-moi d'abord de dire que la démocratie exige beaucoup de ses citoyens. Elle nous exige de respecter des lois que nous ne voulons peut-être pas respecter, de voter même quand nous sommes occupés, ainsi que d'accepter l'élection de chefs pour lesquels nous n'avons pas voté personnellement et l'adoption de politiques avec lesquelles nous ne sommes peut-être pas d'accord. Elle nous exige de reconnaître les droits de personnes que nous n'aimons peut-être pas et de soutenir, par nos impôts, des personnes dans le besoin alors que nous n'oserions même pas imaginer nous trouver dans une telle situation.

La question, donc, et il s'agit d'une question avec laquelle les chercheurs de toutes les disciplines et les représentants de tous les ordres de gouvernement sont aux prises, est la suivante : comment s'assurer d'obtenir cette coopération?

On peut assurément offrir des incitatifs aux gens pour qu'ils participent, et faire appel à leur intérêt personnel. On peut faire appel à leur crainte d'être punis s'ils ne coopèrent pas. On peut leur donner davantage confiance en l'équité de leurs institutions démocratiques. Toutes ces idées sont logiques, mais, en tant que prescriptions pour renforcer la solidarité démocratique, elles vont relativement de soi – oui, le fait de rendre les institutions plus équitables augmente la confiance des gens en leur équité – ou peuvent avoir des répercussions étonnamment imprévisibles.

À titre d'exemple, les recherches montrent que lorsque les gens se font offrir des incitatifs pour coopérer, ils ont tendance à coopérer tant qu'on leur offre les incitatifs. Après, même les gens qui auraient coopéré en l'absence des incitatifs cessent de le faire. Ce n'est pas parce qu'ils sont cupides, c'est qu'ils supposent que tous les autres coopéraient pendant tout ce temps à cause des incitatifs.

Donc, l'intérêt personnel, la confiance, le respect des règles, tous importent; toutefois, un autre élément semble être tout aussi important : L'amour que vouent les citoyens à leur pays. La volonté des gens à coopérer dans une démocratie peut dépendre de ce sentiment fleur bleue, difficile à expliquer, difficile même à conceptualiser qu'est l'identité nationale.

La démocratie canadienne fonctionne dans cette optique en raison de votre sentiment d'identité canadienne et c'est ce dont j'aimerais parler aujourd'hui. On recense d'innombrables preuves sociales et psychologiques du pouvoir de motivation qu'a l'identité de groupe en général, et l'identité nationale en particulier. Il est possible de rassembler des gens en groupe, dont le fondement peut être relativement minime. Par exemple, dans les premières études expérimentales, on divisait les gens en groupe selon le peintre moderne qu'ils préféraient. Une fois que les personnes se considèrent comme membres d'un groupe, elles agissent afin de le soutenir, et ce, même s'il ne va pas dans leur intérêt personnel de le faire. Elles n'ont pas à se connaître personnellement pour ressentir ce sentiment de loyauté au groupe; elles n'ont qu'à savoir que d'autres personnes appartiennent au groupe auquel elles se sentent émotionnellement attachées.

Dans le même ordre d'idées, l'historien Benedict Anderson a qualifié les nations de « communautés fictives ». Vous ne connaîtrez jamais une fraction des membres de la nation et, pourtant, vous sentirez que quelque chose vous unit. Ces liens sont fictifs, mais les sentiments sont réels.

Et ce sont ces sentiments qui motivent la coopération démocratique. Les recherches montrent que les personnes qui ont un fort sentiment d'identité nationale portent plus attention à la politique, votent en plus grand nombre, font davantage confiance à leurs concitoyens et sont plus enclines à faire des sacrifices pour la nation, et sont plus susceptibles d'appuyer des politiques de redistribution. C'est-à-dire des politiques publiques qui aident les personnes dans le besoin.

Il y a toutefois un problème. Les recherches montrent aussi que les personnes qui ont un fort sentiment d'appartenance à leur pays ont tendance à faire une évaluation biaisée des conditions économiques et des dirigeants politiques. Autrement dit, elles votent davantage, mais leur vote a tendance à être moins bien éclairé. Elles sont moins susceptibles de faire confiance aux immigrants et sont souvent moins susceptibles d'appuyer la redistribution aux personnes dans le besoin.

Donc, quelle est la bonne réponse? [rire] L'identité nationale est-elle bonne ou mauvaise pour la coopération démocratique? Ou, peut-être mieux, quand est-ce la bonne réponse? Ce qui semble important, c'est non seulement la force de l'identification au pays, mais aussi, la teneur de cette identification. Cela dépend de ce que signifie le fait d'être Canadien selon vous. Bien entendu, cela veut dire beaucoup de choses, mais les études montrent que les personnes qui mettent l'accent sur des traits hérités et non choisis dans leur définition d'appartenance nationale, des traits comme l'origine ethnique, la race et la religion, les personnes qui définissent, par exemple, les vrais Américains comme ceux qui sont blancs, nord-européens et chrétiens, sont celles qui ont tendance à être hostiles à l'égard de l'immigration, des droits des minorités, et du soutien du gouvernement à ceux dans le besoin.

Il en est peut-être ainsi parce que ce mode de pensée au sujet du pays est fondé sur un mythe d'ascendance ethnique. Parce que nous descendons tous, de façon littérale ou figurée, du même groupe. Je crois que vous êtes à même de voir que ce sentiment de parenté imaginée donnerait lieu à la solidarité; toutefois, il peut être aussi facile d'imaginer des gens arrivant plus tard au pays, ou qui se trouvaient déjà ici, ou qui, pour toute autre raison, sont plus difficiles à voir comme des proches, qui semblent aussi moins méritants.

Certains chercheurs ont soutenu à ce moment-là que la coopération démocratique dépend plus d'une conception civique qu'ethnique de l'esprit national. Nous ne sommes pas unis parce que nous avons les mêmes origines ou que nous ressemblons à une famille, mais plutôt parce que nous avons les mêmes valeurs. Donc, afin de promouvoir la coopération démographique, il nous suffit de rappeler aux gens ces valeurs nationales.

Le fait d'être Canadien dans cette optique signifie d'être mobilisé à l'égard de l'égalité, de la diversité, de la liberté et des droits de la personne. Le fait d'être Américain signifie d'être mobilisé à l'égard de l'égalité, de la diversité, de la liberté et des droits de la personne. Le fait d'être Guatémaltèque signifie d'être mobilisé à l'égard de l'égalité, de la diversité, de la liberté et des droits de la personne. Je crois que vous voyez le problème qui se pose ici.

Le fait de définir la nation selon ses valeurs ne permet pas de la différencier des autres nations démocratiques. Cela ne favorise pas le genre de loyauté à l'égard du groupe que la notion de pays en tant que famille favorise. Nous ne formons même pas un groupe à cet égard. Nous ne sommes que des personnes qui croient les mêmes choses que celles auxquelles des personnes de nombreuses autres démocraties croient, tout simplement.

À mon avis, c'est là que réside le défi. Pouvons-nous encourager une compréhension du « nous » plus solide, au sens de plus convaincantes sur le plan émotionnel, qui nous donne ce sentiment d'appartenance à un groupe, mais un sentiment plus inclusif qu'exclusif?

Ce défi est devenu urgent aux États-Unis, à un moment où notre démocratie semble au bord du gouffre. Dans le cadre de mes recherches, je me suis intéressée à ce qui est devenu une réponse populaire à ce défi. On voit aujourd'hui d'innombrables initiatives qui réunissent des personnes afin qu'elles transcendent le clivage et se parlent. Nous réunissons des démocrates et des républicains, des musulmans et des chrétiens, des Américains blancs et des Américains noirs afin qu'ils partagent leur histoire, qu'ils écoutent avec empathie, de sorte que la compréhension mutuelle, voire l'amitié qui naîtront de ces rencontres entraîneront une spirale qui créera les solidarités plus élargies qui semblent nous faire défaut.

J'ai beaucoup à dire sur ces initiatives, toutefois, je veux surtout savoir à quel point des conversations intimes entre quelques personnes qui veulent se parler donneront naissance, d'une certaine manière, à des solidarités plus élargies entre un grand nombre de personnes qui n'ont aucun intérêt à se parler. Ce n'est pas clair pour moi.

Si la parenté imaginée ne constitue pas un fondement adéquat à la coopération économique, je ne suis pas convaincue que les amitiés réelles le soient aussi. Il faut imaginer la communauté de la nation, selon moi, et cette vision doit inclure des personnes avec qui nous n'entretenons pas et nous n'entretiendrons jamais des liens étroits.

Voici toutefois l'élément essentiel, qui me donne espoir : la famille et les amis ne sont pas les deux seules relations que la plupart d'entre nous avons vécues. Nous avons des relations en tant que collègues, voisins, hôtes et invités. Nous coopérons dans ces relations, mais pas de la même façon qu'avec nos amis et nos proches. Nous coopérons par réciprocité plutôt que par altruisme, par égalité plutôt que par esprit de partage, par équité procédurale plutôt que par intimité.

Et si nous imaginions la communauté nationale non pas en tant que famille ou amis, mais plutôt en tant que personnes qui coopèrent à l'atteinte d'un but commun? Oui, ce but pourrait être d'incarner des valeurs communes. Nous en revenons donc à la conception civique de l'esprit national. Cependant, les relations à créer pour incarner ces valeurs importent plus que les valeurs elles-mêmes.

[Le texte à l'écran indique ce qui suit : « Political Psychology, Vol. 25, No. 5, 2004; What Does It Mean To Be An American?; Patriotism, Nationalism, And American Identity After 9/11; Qiong Li, Merskon Center, Ohio State University; Marilynn B. Brewer, Department of Psychology, Ohio State University »]

Francesca Polletta : Laissez-moi vous donner un exemple : En 2002, les psychologues sociaux Qiong Li et Marilynn Brewer ont demandé aux sujets de leur recherche, tous des Américains, de lire l'un de deux textes. L'un des groupes a lu que les attentats du 11 septembre 2001 avaient uni les Américains en leur rappelant, et je cite, ce que nous avons en commun en tant qu'Américains, l'essence même de l'identité américaine, fin de la citation. L'autre a lu un texte légèrement différent. Il a lu que les attentats du 11 septembre 2001 avaient uni les Américains en leur rappelant, et je cite, leur but commun de lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et de travailler ensemble, fin de la citation. On a ensuite demandé aux deux groupes de faire part de leurs opinions sur les politiques entourant l'immigration et les droits des minorités.

Les personnes du premier groupe, qui avaient été motivées à songer à leur identité américaine en tant qu'essence fondamentale et intemporelle, avaient tendance à s'opposer aux politiques qui appuyaient les immigrants et les minorités. En fait, plus leur sentiment d'identité national était fort, plus elles s'opposaient.

Les personnes du deuxième groupe, quant à elles, qui ont toutefois été motivées à penser qu'elles étaient unies par l'importance de leur collaboration au lieu de leur essence commune, ont exprimé des opinions plus tolérantes, et ce, même quand elles obtenaient des notes élevées pour les marqueurs d'identité nationale. Autrement dit, la façon dont les sujets imaginaient les liens qui les unissaient les menait à appuyer des politiques plus ou moins inclusives.

Je tiens aussi à mentionner que ces façons de penser au groupe n'étaient pas nouvelles pour les sujets de la recherche. Les personnes étaient au courant des deux conceptions de leur identité américaine. Il fallait seulement stimuler la conception la plus inclusive.

J'en viens donc à me poser la question suivante : comment stimulons-nous cette conception dans le monde réel? De quelle façon amenons-nous les gens à voir les liens qui tissent la communauté nationale comme des liens fondés sur la coopération plutôt que sur la ressemblance ou la parenté? J'ignore la réponse à cette question, mais, à bien y penser, j'en suis venue à voir les politiques de multiculturalisme d'une manière quelque peu différente.

Le Canada, comme vous le savez, est l'un des quelques pays où un fort sentiment d'identité nationale est associé au soutien de l'immigration au lieu de l'opposition à celle-ci. Je le répète, il s'agit de l'un des rares pays où c'est le cas. Les chercheurs ont avancé en guise d'explication que cela réside probablement dans le fait que la fierté à l'égard du multiculturalisme fait partie de l'identité nationale canadienne. Que le fait d'être Canadien signifie entre autres d'appuyer le multiculturalisme. Toutefois, ce qui me frappe sur les politiques multiculturelles du Canada, ce n'est pas tant la valeur abstraite de la diversité dont elles font la promotion, mais bien le travail que ces politiques exigent pour réellement tenir compte des différences. Il ne suffit pas de célébrer la différence; il faut en tenir compte.

Le travail que les décideurs, les administrateurs, les groupes de défense, les employeurs et les citoyens ordinaires accomplissent pour comprendre, par exemple, les cas où un engagement à l'égard de la différence menace un engagement à l'égard de l'égalité et ce qu'il faut faire à ce sujet. Le travail qu'ils accomplissent pour négocier des controverses mineures et majeures.

Il y a quelques années de cela, Will Kymlicka a fait valoir que le multiculturalisme au Canada était déjà devenu banal. Par banal, il n'entendait pas stupide ou futile, mais bien un élément de la politique quotidienne. Peut-être cela a-t-il été rendu plus simple par le fait que les Canadiens n'ont jamais été en mesure de vivre selon le mythe d'un peuple unique. À mon avis, toutefois, la politique régulière du multiculturalisme parvient entre autres à comprendre de façon très pratique ce à quoi les relations de coopération à l'échelle des différences devraient ressembler. Le multiculturalisme. Encore une fois, c'est la valeur, plutôt que la façon dont la valeur a été mise en pratique, qui incarne un genre distinct d'appartenance politique où la négociation de nos différences est ce qui nous unit. C'est la négociation qui est chronophage, difficile et parfois pénible, mais, dans une démocratie, elle est inévitable. En fait, c'est ce en quoi consiste la démocratie.

Permettez-moi donc de conclure en présentant trois observations provisoires.

Premièrement, nous pouvons imaginer nos concitoyens de différentes façons, pas seulement comme une famille, mais plutôt comme des collaborateurs, des voisins, des hôtes et des invités, des gardiens d'un héritage commun. Il en existe probablement d'autres. Je parle de relations qui mettent l'accent sur la coopération plutôt que sur la ressemblance.

Deuxièmement, ces autres façons d'imaginer les liens qui nous unissent peuvent être communiquées par la culture, par les récits que nous racontons, par les histoires que nous apprenons et aussi par les politiques que nous édictons. Elles envoient aussi un message sur la façon dont nous sommes unis.

Troisièmement, le travail de l'imagination pourrait être essentiel à la démocratie.

Je m'arrête ici et j'ai hâte de participer à notre discussion. Merci.

Daniel Jean apparaît à l'écran]

Daniel Jean :Merci beaucoup, Francesca. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Voici les trois principales leçons à retenir sur lesquelles vous voulez que nous nous concentrions. L'importance de la coopération. Le fait que ces liens peuvent aussi être communiqués dans le cadre de récits, mais aussi par les politiques qui sont mises en œuvre. Et le fait que l'imagination est importante ou, comme vous le dites, essentielle.

Nous aurons la chance de discuter davantage avec Francesca dans quelques minutes; j'aimerais maintenant vous présenter Ron Levi. Il est professeur au département de sociologie de l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques et professeur distingué de justice mondiale. Il est titulaire d'une nomination conjointe de courtoisie à la faculté de droit et est professeur invité permanent à l'Université de Copenhague.

Le travail de Ron se situe au croisement de la sociologie politique et de la sociologie du droit. En fait, quelques minutes avant la séance, il nous parlait de travaux et de recherches qu'il mène sur les services de police dans les communautés marginalisées et racisées.

Ron, nous vous laissons réagir rapidement avant de passer à une discussion plus interactive. Allez-y, Ron.

[Ron Levi apparaît à l'écran. Le texte affiché à l'écran indique Toronto, ON]

Ron Levi : Merci, Daniel, et merci à vous tous, qui êtes ici, ou là-bas. On m'a dit qu'un grand nombre de personnes participent à l'événement. C'est merveilleux d'avoir l'occasion d'être en compagnie de Francesca Polletta, qui, je me dois de le mentionner, est une collègue et amie, et dont je lis les travaux depuis longtemps. Il est donc merveilleux de participer à cette discussion avec Francesca.

Francesca, j'ai trouvé votre exposé excellent et je tiens à vous en féliciter, mais aussi à vous questionner. Parce que vous racontez une histoire qui, en son fonds, explique qu'il ne s'agit pas seulement de l'idée de la famille, ou seulement de l'amitié et des relations étroites. Il s'agit aussi de coopération. Vous dites aussi, d'après ce que je comprends, que nous avons une expérience concernant les modes d'interaction entre nous, par la coopération, et ce, même sans avoir de liens émotionnels solides.

À mon avis, cela accorde une grande importance à ce moment de coopération. Je voulais donc soulever trois points de tension à cet égard. Ils ne sont peut-être pas contradictoires, du moins, je l'espère, et je ne crois pas qu'ils le soient. À mon avis, ils nous obligent à réfléchir selon trois autres optiques.

Le premier est au niveau, disons, de l'état. Il s'agit des idées de l'état à son sujet et au sujet de la nation. Si nous croyons que le Canada possède des politiques multiculturelles, par exemple, d'autres pays ont des personnalités ou idées d'eux-mêmes différentes qu'ils expriment par l'intermédiaire de politiques. Vanessa Barker, en Suède, parle de la promulgation d'idées suédoises de l'État-providence dans les politiques, par exemple.

Dans quelles mesures varient-elles et peuvent-elles alimenter ou décourager cette coopération? Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas demander uniquement à vous, à moi, ou à Daniel de déterminer qui doit coopérer maintenant. Quel est le niveau de politique qui importe ici et en quoi est-il important?

La deuxième question que j'ai à ce sujet, et je crois que nous en avons été très conscients au cours des dernières années, au sud de la frontière et ailleurs, y compris au Canada, touche les politiciens. Donc, hormis l'État, la bureaucratie, le domaine de politique, le genre de discours politique, les récits de politique, dans quelles mesures ces idées de coopération sont-elles proportionnelles à ce que l'on voit récemment en politique?  Peut-être n'est‑ce si récent, mais c'est ce que l'on constate dans les discours politiques.

La dernière, je dirais, c'est qu'en tant qu'individus, nous faisons face à cette possibilité de coopération avec nos passés, nos passés collectifs, parfois d'autres pays de migration, et parfois des quartiers où nous habitons. Comme Daniel le mentionne, je travaille sur les services de police. Donc, dans le contexte de villes comme Baltimore et Cleveland, où j'ai effectué beaucoup de travail d'entrevues, dans ces villes où les tensions avec les services de police sont répandues, l'expérience des services de police fait non seulement partie de mon interaction avec l'État, mais de l'endroit où je vis. Ce sont les histoires que j'entends sur l'État et sur d'autres, pour reprendre vos mots. Donc, dans quelle mesure le fait d'habiter dans ces quartiers ou d'avoir ce genre de passés, je ne sais pas comment le définir, est-il pertinent à la réflexion sur la coopération en tant que mode d'édification d'un pays, selon vous?

Voici donc mes trois questions. J'ignore en fait s'il s'agit de questions ou de réflexions, mais je sais que vous avez des idées sur tous ces sujets, donc je vous cède la parole.

[Daniel Jean apparaît à l'écran]

Daniel Jean : Excellent. Merci beaucoup, Ron. Nous tenterons donc de répondre à certaines de ces questions, y compris le rôle de l'État.

Je m'adresse au public : Je sais que j'ai indiqué dans l'introduction que vous pouviez poser vos questions en levant la main. L'équipe de production me dit que vous devez en fait les poser dans le clavardage. Nous allons maintenant passer à la partie dirigée de la discussion, mais nous essaierons de garder autant de temps que possible pour répondre à certaines de vos questions.

Examinons maintenant la première question qui s'adresse à Francesca et à Ron.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Lors de nos deux événements antérieurs sur le sujet, nous en sommes venus à la conclusion que même si l'on trouve une certaine polarisation au Canada, elle ne semble pas atteindre le niveau de schisme politique que l'on semble voir aux États-Unis, mais il demeure des divisions sociales et des conflits entre groupes. Pourquoi sommes-nous incapables de résoudre certains de ces conflits par les échanges individuels et le dialogue? Francesca, voulez-vous parler en premier?

Francesca Polletta : Oui, bien sûr. Je vous remercie, Ron, de ces formidables questions. Je tenterai d'intégrer des éléments de réponse à votre question à ma réponse à la question très intéressante que Daniel a posée.

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Aux États-Unis, le niveau de polarisation politique est tout simplement effrayant. Cette polarisation donne lieu à la négation des faits présentés par d'autres, à une méfiance entre nous. Nous nous détestons. Nous vivons dans des endroits différents et nous parlons à des gens différents. Le niveau de polarisation politique aux États-Unis est donc extrême, et affectif, émotionnel.

Au cours des dernières années, j'ai été étonnée de constater que l'une des réponses courantes à cette polarisation est de faire abstraction de notre division partisane, de notre classe, de notre religion, de notre race et de notre origine ethnique pour nous parler. Si seulement nous pouvions réunir des gens, démocrates et républicains, partisans et opposants de Trump, musulmans et chrétiens, si seulement nous pouvions réunir les gens, seul à seul, afin de raconter leurs histoires, d'écouter les expériences des autres avec empathie, de commencer à comprendre ces différences, cette expérience d'intimité, qui ressemble quelque peu à l'amitié, prendra de l'ampleur et créera des solidarités élargies. En retour, cela permettra de faire baisser le niveau de polarisation.

Quand j'entends parler de ces solutions, j'y trouve beaucoup d'avantages qui méritent de les recommander, mais je me demande toujours pourquoi le dirigeant du comité national démocrate ne s'assoit pas avec le dirigeant du comité national républicain afin d'avoir une conversation amicale, de partager des histoires et d'apprendre à avoir de l'empathie l'un pour l'autre? Pourquoi Sean Hannity, un commentateur de droit célèbre, ne s'assoit-il pas avec un représentant d'une agence de presse générale afin de parler des normes relatives au journalisme politique responsable?

Je crains qu'en mettant tous nos espoirs dans les conversations ordinaires, nous passions sous silence les façons dont cette polarisation que l'on trouve aux États-Unis est la faute des institutions, des politiques et des médias. Je ne suis tout simplement pas convaincue que ces conversations individuelles prendront de l'ampleur ou feront des vagues pour devenir des solidarités élargies.

En outre, et je n'en avais pas pris conscience lorsque j'ai commencé à étudier ces initiatives visant à réunir des gens pour tenir des conversations individuelles, beaucoup de preuves donnent à penser que le fait de nous parler ne donne pas vraiment les résultats souhaités. Les recherches montrent que si l'on demande à une personne d'adopter le point de vue de quelqu'un qui correspond à un stéréotype qu'elle entretient, elle deviendra probablement encore plus ancrée dans ses stéréotypes. Ces personnes se replient sur leurs stéréotypes. Nous savons que les gens qui sont naturellement empathiques ont tendance à avoir des opinions politiques plus polarisées. Nous savons qu'il est beaucoup plus facile d'être empathique à l'égard de personnes qui nous ressemblent que de personnes différentes de nous. J'entretiens donc des doutes quant au changement que cette foi facile vouée au pouvoir des rencontres personnelles peut susciter dans un paysage politique qui, comme vous l'avez dit, Ron, est le fruit des institutions, des politiciens et des souvenirs collectifs.

Je dirais donc, encore une fois qu'il faut, en partie du moins, imaginer notre sentiment d'unité, notre sentiment d'identité. En tant que membres d'une nation, il nous est impossible de connaître tout le monde. Il faut donc sentir que nous sommes tous dans le même bateau, même si nous ne nous connaissons pas les uns les autres.

La question devient donc de déterminer ce qui alimente ce sentiment d'unité. Qu'est-ce qui favorise ce sentiment de coopération? Ron, comme vous l'avez suggéré, nous pouvons rencontrer quelqu'un et commencer à coopérer avec lui, mais, souvent, nous amorçons cette interaction en ayant déjà une idée de ce à quoi ressemble la personne et de la tournure que prendra cette rencontre. Dans le cas des services de police, on a une idée de la façon dont la police traite des personnes comme soi. Je dirais donc simplement que nous devons beaucoup plus penser aux différentes façons dont nos institutions, notre gouvernement, nos fonctionnaires, notre culture populaire, aux façons dont ils communiquent tous des messages sur notre identité et sur les éléments qui nous unissent.

J'en ai encore beaucoup à dire à ce sujet. Je m'arrêterai ici afin de donner l'occasion à Ron d'intervenir.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Merci, Francesca. Je vais passer la parole à Ron immédiatement après, mais je me pose la question, et vous avez commencé à le faire. La réponse ne peut pas uniquement se trouver dans les conversations individuelles. Il doit y avoir une certaine imagination. Nous devons transformer la façon dont nous renforçons la coopération sur ces questions. [[Il a dit, ce qui favorise les risques.]]

Ron a posé une question sur l'État et sur les souvenirs collectifs. À quel point ces deux éléments sont-ils importants en tant que facteurs qui favorisent un tel environnement?

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Ils sont absolument essentiels. Roger Smith, un scientifique politique, a trouvé un terme merveilleux pour le décrire. Il parle de nos récits de peuple. Afin que les personnes, que les citoyens coopèrent, ils doivent avoir un sentiment d'histoire commune en tant que peuple. Je suis d'accord, mais, selon moi, c'est beaucoup plus complexe que cela. Premièrement, parce que nous ne sommes pas une seule personne, comme l'a fait remarquer Ron. Les Canadiens le savent peut-être mieux que quiconque. Le problème avec ce genre de récit standard sur la provenance, l'établissement, les conquêtes et les découvertes des peuples réside dans le fait qu'il laisse pour compte les personnes qui sont arrivées plus tard.

Nous savons, j'ai parlé de recherches qui donnent à penser que les Américains qui ont tendance à définir un Américain comme un Anglo-saxon blanc et protestant semblent avoir des compréhensions très exclusives de la nation et des idées très pointues des personnes à qui les ressources devraient être offertes.

Donc, les histoires de peuples que nous devons raconter sont multiples. Et, à mon avis, il faut entre autres comprendre comment ces multiples histoires s'intègrent les unes aux autres, si elles peuvent être intégrées les unes aux autres.

J'ajouterais toutefois, pour revenir au point de Ron sur les institutions, que les histoires des peuples ne sont pas seulement racontées dans les livres, les discours et les jours fériés. Elles le sont aussi dans le travail quotidien du gouvernement. Je parle de l'élaboration et de la mise en œuvre de politiques. C'est dans cet appareil gouvernemental quotidien que les organismes gouvernementaux envoient un message puissant au sujet de ce que nous sommes, de ce que nous ne sommes pas, de ceux qui sont parmi nous et de ceux qui ne font pas partie du cercle du « nous ».

J'inviterais donc à réellement réfléchir en profondeur aux messages que les politiques communiquent sur les éléments qui nous unissent.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Merci, Francesca. Ron, à la lumière de vos recherches, comment pouvons-nous favoriser cette coopération? Comment pouvons-nous transformer notre façon de faire afin de rendre nos démocraties encore plus saines et dynamiques?

Ron Levi : Je vais esquiver la question, comme les chercheurs ont l'habitude de le faire. Je vous répondrai que j'ignore comment le faire; permettez-moi tout de même de vous présenter trois points de données. J'aurais dû mentionner, au début de notre conversation, que mon travail porte sur les idées sur la justice. Ces idées sur la justice sont parfois ce que nous appelons une expérience quotidienne,

[Ron Levi apparaît à l'écran]

Ron Levi : ce qui, en toute honnêteté, est un terme horrible à mon avis, parce que chaque expérience est une expérience quotidienne ou une expérience vécue, mais ce que nous appelons une expérience quotidienne est également une expérience au sein des bureaucraties. Afin de vous donner une idée, j'ai fait des recherches, comme je l'ai mentionné, dans certaines villes des États-Unis où les relations sont dures, ou difficiles et violentes, souvent entre des résidents membres de minorités visibles et souvent des Afro-Américains, mais pas exclusivement, et la police, mais aussi avec des bureaucraties internationales, comme le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et son idée de la justice.

Je crois que je me suis donc déplacé au sein des bureaucraties dans l'État, disons, et dans le genre d'expérience quotidienne pour réfléchir à la façon dont on voit la justice. À ce travail, ajoutons certains souvenirs collectifs provenant d'un nouveau projet en France, que Francesca m'aide à mener, en fait, afin de réfléchir à la mémoire collective de la communauté musulmane algérienne à l'égard de la violence dans les années 1960.

On en vient à se demander comment l'État peut le faire. Vous savez, je crois qu'il faut être attentif aux trois dimensions dont j'ai parlé plus tôt. Au niveau des politiques, au niveau du passé et au niveau de la compréhension de l'État de ce qui est juste. Permettez-moi donc de vous présenter trois points de données qui pourraient peut-être nous donner une idée de la façon.

Le premier, c'est que les relations individuelles sont importantes et les conversations individuelles sont importantes, pour répondre à votre question, Daniel, en partie parce que les personnes consacrent une grande partie de leur compréhension d'eux-mêmes dans les relations, non seulement entre eux, mais aussi dans leurs relations avec l'État.

C'est ce que nous avons trouvé remarquable dans les recherches que nous avons menées à Cleveland, c'est que peu importe la fréquence à laquelle l'État, et en l'occurrence, les services de police, laisse tomber les personnes, les personnes continuent de communiquer avec les services de police quand ils ont besoin d'eux. Cela n'est pas surprenant, c'est la seule possibilité qui existe, comme je l'ai mentionné : qui d'autre appellerez-vous dans les quartiers marginalisés? Toutefois, quand on leur demande comment ils s'expliquent cette façon de faire, il est évident que les personnes qui habitent dans ces quartiers, souvent des personnes qui viennent d'être arrêtées, en toute honnêteté, avec qui nous échangions, investissent un immense sentiment de reconnaissance du fait qu'ils peuvent appeler l'État. Du fait que cet État est là pour eux, et que leur inclusion en tant que citoyens réside dans leur capacité d'appeler l'État, même s'ils croient que cet organisme de l'État les laissera tomber. Alors, les conversations individuelles ne mettront pas fin aux conflits de groupe et à la division sociale parce que le sentiment d'inclusion des personnes ne vise pas seulement leurs relations entre elles, mais aussi les relations avec l'État, et la mesure dans laquelle celui-ci peut les servir ou ne pas les servir. Il s'agit d'un élément de la réponse à mon avis.

L'autre, comme je l'ai indiqué auparavant, est les discours des politiciens. Donc, pourquoi les conversations individuelles ne permettront-elles pas d'y arriver? Nous avons fait des travaux qui ont été présentés dans la procédure à la National Academy of Sciences récemment aux États-Unis sur la façon dont les personnes croyaient les récits liés à l'Amérique d'abord. Il s'agit d'un récit populaire qui sous-entend que les immigrants sont mauvais. En particulier, dans ce cas, que les musulmans sont mauvais. Que le commerce international n'est pas si merveilleux, car il nuit à l'Amérique. Il s'agit de MAGA, du trumpisme de l'Amérique d'abord des dernières années. Nous avons découvert que les gens qui croyaient ce récit, qui s'attachaient à ce récit, avaient, sur le plan statistique, un grand nombre de conflits avec l'État et avec les organismes d'application de la loi. Et ce n'est pas ce que l'on constatait avec d'autres récits de peuples. C'est sentir que l'on n'a rien à dire ou que les élites vivent dans un monde meilleur que le sien.

L'appel de Francesca comportait toutefois une idée de la nation qui était exclusive, qui exploitait également les relations volatiles passées avec l'État. C'est en fait très intéressant. Ce sentiment d'exclusion, de conflit avec l'État mène aussi les gens, ou est corrélé, du moins, au fait que les gens vont privilégier le principe de l'Amérique d'abord au lieu d'un sentiment d'internationalisme.

Pour terminer, je dirai que je ne suis pas convaincu par cette idée selon laquelle une plus grande mobilisation mène à une plus grande gentillesse. Je le dis parce que j'ai remarqué que quelqu'un a déjà posé une question sur l'immigration dans le clavardage.

Donc, certains travaux que nous avons menés dans une ville canadienne que nous ne nommerons pas, mais qui est située tout près de Toronto et qui compte un aéroport international important, ont démontré cet appui à la redistribution, ce que nous pouvons considérer comme l'inclusion à de nombreux égards. Le soutien aux politiques d'aide sociale est plus élevé chez les immigrants de première génération, un peu plus faible chez ceux de la première génération et demie et encore un peu plus faible chez la deuxième génération. Il atteint son niveau le plus faible, à ce que nous appelons la troisième génération, ou comme on le lit parfois dans la littérature, les personnes nées dans le pays. Mais, essentiellement, le soutien à la redistribution élargie baisse en fonction du statut d'immigration.

La question ici est donc de savoir si des interactions plus nombreuses avec des concitoyens canadiens, que nous avons définis dans ce cas en fonction du temps passé dans le pays, donnent lieu à un appui accru à l'égard de la redistribution. Nous constatons l'opposé. Nous avons constaté que le soutien à la redistribution atteint son niveau le plus élevé chez les plus récents immigrants au Canada.

Donc, les échanges individuels comprendraient-ils l'inclusion? Je ne sais pas. L'État est important, les souvenirs sont importants, le passé est important et il semble que, pour les questions d'immigration, le temps passé dans le pays importe.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Merci, Ron, je crois que vos deux observations ont mis la table pour ma question suivante. Francesca, vous avez mentionné, dans votre introduction, que les politiques sont aussi importantes que les récits et les souvenirs collectifs. Existe-t-il des stratégies qui permettraient aux gouvernements d'encourager des compréhensions plus inclusives de l'identité ou de l'appartenance nationales?

Je tiens aussi à remercier nos participants. Certains nous ont déjà envoyé des questions et nous en poserons certaines dans quelques minutes.

Francesca Polletta : Merci, Daniel. Oui, je dois le mentionner, je suis Américaine. Je suis experte des États-Unis et j'espère en apprendre de vous et des membres du public sur les politiques canadiennes.

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Je suis étonnée par le fait que, comme les chercheurs l'ont montré, la coopération dépend de notre confiance à l'égard des institutions. Je parle d'un sentiment de confiance généralisé. Les chercheurs ont montré qu'il est plus important que les personnes fassent confiance aux organismes qui mettent en œuvre les politiques qu'ils fassent confiance aux organismes qui élaborent les politiques. Cela donne donc à penser que c'est au niveau des bureaucraties quotidiennes avec lesquelles les personnes interagissent que cette confiance est réellement essentielle.

Alors, comment créons-nous ce sentiment de confiance? Ici, ce qui m'a réellement frappée quand je lisais sur les politiques de multiculturalisme du Canada, ce n'était pas seulement la célébration de la diversité; aux États-Unis, nous la célébrons également. Il s'agissait du travail gouvernemental banal, actif, pratique et quotidien requis pour tenir compte des différences. Je pense à ce travail qu'il faut mener pour déterminer quand le respect de la liberté de religion entre en conflit avec un droit de la personne ou un droit lié au genre, entre autres. Alors, comment négocions-nous cette différence? Comment déterminons-nous les groupes minoritaires dont les fêtes religieuses devraient être reconnues? Ce processus très local et négocié qui nous permet de déterminer la façon de tenir compte des différences est, à mon avis, crucial à la communication d'un message sur notre identité en tant que personnes différentes, mais qui parviennent à vivre ensemble malgré ces différences.

Bon nombre des politiques que nous voyons, et je crois que c'est le cas au Canada et aux États-Unis, tout ce que nous voyons, dans l'arène politique, ce sont des discours, des politiciens qui parlent de qui nous sommes, de la grande nation que nous sommes, et ainsi de suite.

J'aimerais que nous voyions plus la négociation que l'élaboration de politique exige. Quel est le travail réalisé pour déterminer la façon de rapprocher des programmes divergents? Que pouvons-nous accorder? Le décès de George Floyd aux mains de la police a déclenché d'immenses protestations à l'échelle mondiale, comme vous le savez, et ces protestations ont fait l'objet d'une grande couverture médiatique. Ce que les médias n'ont pas couvert, cependant, et j'aurais aimé qu'ils le fassent, c'est une rencontre entre un groupe de maires et des protestataires du mouvement Black Lives Matter (la vie des Noirs compte) et d'autres organisations afin de déterminer ce qu'il faut faire pour changer les services de police.

Je dirais donc que j'ignore quel genre de politiques nous permettra d'accomplir ce travail, mais je crois qu'il s'agira de politiques qui insistent sur le fait que la démocratie est cette négociation des différences de façon très pratique, quotidienne et banale, comme le dit Will Kymlicka, et je reprends aussi ce terme. Aux États-Unis, nous n'avons pas la même expérience que les Canadiens à cet égard.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : C'est très intéressant, Francesca, et ce que vous avez dit au sujet de la confiance, soit qu'elle est aussi importante que l'exécution, l'élaboration et le calcul des politiques, en présente une description très intéressante, à la lumière de ce que nous avons vécu au Canada. Je veux dire, en ce qui concerne la pandémie, nous avons constaté une augmentation de la confiance du public à l'égard des institutions publiques, parce que même si le gouvernement n'était pas parfait, le public en général a pris conscience, à mon avis, de l'importance du gouvernement. Notre gouvernement tentait de répondre avec agilité à une crise sans précédent, depuis des générations du moins. En fait, ce qui s'est produit, lorsque nous avons commencé à revenir à la normale, si une telle chose existe maintenant, le gouvernement a commencé à échouer dans la prestation de services de base, qu'il s'agisse des services de passeport, de l'immigration, des contrôles dans les aéroports, et d'autres. On a ensuite vu les gains réalisés pendant la pandémie être perdus. À mon avis, il est très important pour notre public, qui est composé de fonctionnaires, de dire que les politiques sont importantes, mais il est tout aussi important que le public sache que nous sommes en mesure d'offrir ces services de base.

Ron, selon vous, quelles sont les politiques qui peuvent véritablement encourager une démocratie dynamique, une mobilisation utile, comme l'a mentionné Francesca, au lieu de la rédaction de discours [inaudible].

[Ron Levi apparaît à l'écran]

Ron Levi : Il s'agit d'une excellente question et je suis d'accord avec Francesca pour dire que la réponse se trouve dans le niveau de mise en œuvre. Je crois toutefois que cela peut aller plus loin, pour les résidents ordinaires, que la mise en œuvre de la politique. Cela peut toucher la promulgation de la politique au niveau individuel.

Mes études portent sur les services de police. Laissez-moi vous dire ce que les gens disent dans des villes comme Baltimore et Cleveland. Les gens veulent être traités de façon équitable et égale, de façon juste. Il s'agit de l'histoire même du droit. Il s'agit de l'histoire de l'équité, des droits, des libertés, d'un traitement égal à celui de tout autre citoyen du pays. Les gens nous le disent, ils disent de ne pas les traiter différemment parce qu'ils vivent dans ce lieu, de ne pas les traiter différemment parce qu'ils sont de race noire, dans les cas de Baltimore et de Cleveland en particulier, et de ne pas se faire d'idée à leur sujet. Ils nous font part d'un très grand besoin. Je devrais préciser que nous avons fait environ 200 entrevues dans les prisons de Baltimore et de Cleveland et c'est là d'où proviennent ces données. Les gens en parlent.

Ils en parlent en même temps, je dirais, à eux-mêmes et entre eux. Ils se disent : vous savez quoi? Vous devez reconnaître que nous habitons dans un quartier différent des autres dans lesquels vous patrouillez. Nous ne faisons pas partie de la banlieue. Ne nous traitez pas comme si vous ne saviez rien au sujet de notre situation.

On constate donc un appétit, une nécessité pour l'État de travailler sur l'inclusion pour traiter les personnes avec équité et égalité, en ce sens. On constate aussi une volonté de reporter, de comprendre les besoins des communautés locales, de comprendre la volonté d'être différent, de comprendre que les difficultés que vit une personne diffèrent peut-être de celles que les policiers ont l'habitude de voir dans d'autres quartiers qu'ils patrouillent. Ces personnes demandent qu'on leur donne un peu de répit parce que leur situation est différente.

Ces demandes ne sont pas contradictoires pour les gens. Les gens n'ont aucun problème à entretenir ces espoirs et ces aspirations pour l'État. Ils veulent qu'on les traite avec équité et empathie. Ils veulent qu'on les traite de façon juste et en faisant preuve de retenue. Ils veulent qu'on les traite selon le droit et dans leur communauté. C'est notre capacité de composer avec ces désirs dont les gens parlent quand ils demandent de tenir les promesses, et d'en faire plus également.

Voici donc un élément. J'ajouterai, et, Daniel, je n'allais pas en parler, mais vous avez parlé du travail quotidien et du travail d'exception. Nous avons demandé aux personnes qui habitent dans ces villes de définir ce qui constituait selon elles le professionnalisme des services de police. On pourrait traduire cette question comme suit : à quoi ressemble un bon gouvernement à vos yeux? C'est la même question, en fait. Les gens nous ont donné quatre réponses.

Ils nous ont répondu que les policiers devaient avoir un niveau de compétence minimal. Ils doivent sortir de leur voiture, et pas seulement éviter les gens, et se présenter à l'heure. Un niveau de compétence minimal. Ils nous ont dit qu'ils devraient faire preuve d'éthique dans leurs relations avec eux. Traitez-nous de façon juste, ne trichez pas et ne mentez pas, par exemple. Ces gens nous ont aussi dit deux autres choses qui selon moi, pourraient être des enseignements intéressants à tirer pour le gouvernement.

L'un de ces éléments est d'élargir leur domaine. Ne venez pas seulement faire votre travail de policier. En fait, venez nous aider à peinturer cette maison au coin de la rue. Aidez-nous à gérer les enfants qui sont dans la rue. Aidez-nous à faire des choses qui ne relèvent pas de votre compétence, parce que cela indique que vous croyez en l'endroit, et c'est ce qu'un professionnel fait. Un professionnel gère une situation et se soucie du contexte dans son ensemble. Et, montrez-nous que vous voulez apprendre. Réfléchissez à vos actes. Lorsque les gens vous disent que ce que vous faites n'est pas bien, pensez-y. Réfléchissez, apprenez et avouez que vous avez appris. Ces deux éléments pourraient donc être des enseignements intéressants à mûrir par le gouvernement, car c'est ce que les gens nous ont répondu quand nous leur avons demandé de définir ce qu'était un service de police professionnel à leurs yeux.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Super! Merci, Ron. C'est très intéressant. Nous allons maintenant répondre à certaines questions du public. Comme nous en avons discuté avant la séance, nous tenterons de répondre le plus brièvement possible afin de pouvoir répondre au plus grand nombre de questions. Francesca a une échéance fixe, elle enseigne à midi, ce qui signifie que nous devrons avoir terminé à midi au plus tard.

[Daniel Jean apparaît à l'écran]

Daniel Jean : La première question que nous avons, à laquelle je demanderai d'abord à Ron de répondre, et je demanderai ensuite à Francesca de réagir, est la suivante : que pensez-vous de l'avenir du populisme au Canada? Nous l'avons entendu dans des slogans électoraux antérieurs, comme lors des référendums sur le Brexit et la séparation du Québec. Croyez-vous que le Canada sera une société plus polarisée à l'avenir ou non? Ron, je sais que vous formulerez vos opinions en tant que Canadien et chercheur qui mène ses travaux de part et d'autre de la frontière. Quant à vous, Francesca, à la lumière de vos recherches, j'aimerais savoir ce que vous conseilleriez aux Canadiens pour régler ce problème. Allez-y, Ron.

[Ron Levi apparaît à l'écran]

Ron Levi : Si je pouvais prédire l'avenir, je serais riche; malheureusement, j'ignore la réponse à cette question. Je veux en fait démystifier deux choses. Je veux distinguer l'idée de populisme de l'idée de polarisation.

Le populisme, d'un point de vue historique et géographique, provient de la droite et de la gauche. Le populisme, même dans le contexte des États-Unis, où, à mon avis, tous nos yeux sont rivés depuis plusieurs années du moins, a différents aspects. L'un de ces aspects peut être cette idée de l'Amérique d'abord, qui remonte à loin dans l'histoire du pays. Une histoire longue et très noire aux États-Unis, qui remonte aux années trente. L'un des autres aspects peut être ce sentiment que les gens n'ont pas leur mot à dire et qu'ils se sentent exclus de la politique.

Ces deux éléments sont des morceaux très différents du casse-tête du populisme, dont certains peuvent être plus clivants que d'autres. Certains peuvent donner lieu à une plus grande polarisation sociale que d'autres. Donc, en tant qu'individu, en tant que citoyens de ce pays, je m'inquiète du genre de populisme auquel Francesca faisait référence, qui prévoit que certaines personnes font partie du pays et d'autres pas. Nous pouvons toutefois avoir des idées plus diversifiées de ce que constitue le populisme.

Donc, le constatons-nous davantage au Canada? Voyons-nous davantage cette idée d'inclusion de personnes dans le pays et d'exclusion de celui-ci? C'est ce à quoi je porterais la plus grande attention en posant la question de la division sociale. Je crois que si la question porte, disons, sur le fait de savoir si les fruits de la mondialisation ont été distribués équitablement entre les sociétés. Je crois que la réponse facile à cette question est probablement pas <rires> et que si un certain populisme attire l'attention sur ce problème, je crois qu'il s'agit d'un moment politique très différent ou d'une inquiétude politique très différentes qu'un populisme qui détermine que certains d'entre nous appartiennent au pays et d'autres non. Certains d'entre nous font partie de la nation véritable, tandis que d'autres n'en font pas partie. Je voulais seulement différencier ces deux éléments. Je cède maintenant la parole à Francesca.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Francesca? Et, en particulier, cette idée selon laquelle la mondialisation n'a pas profité autant à tous, a véritablement été au cœur, selon moi, de la polarisation dont nous avons été témoins aux États-Unis. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Oui, c'est intéressant. Lorsque Donald Trump a été élu, le genre de courant sociologique standard était le suivant : les gens qui avaient voté pour Trump devaient avoir été exclus de la mondialisation, n'est‑ce pas? Ces personnes étaient marginalisées sur le plan économique et elles occupaient des emplois plus précaires, et ainsi de suite. Des études menées par la suite ont en fait montré que cela n'était pas le cas. En fait, bon nombre des adeptes de Trump s'en étaient très bien tirés et n'avaient pas un avenir précaire sur le plan économique. En fait, on voyait plutôt que ces gens croyaient que les États-Unis avaient été exclus de ces processus de mondialisation.

Donc, dans une étude fascinante menée par Roy McVay, les gens parlaient de leur propre expérience, alors qu'en réalité, ce n'est pas ce qu'ils faisaient. Ils parlaient du fait que les Américains avaient été laissés pour compte, que les personnes de race blanche perdaient leur pouvoir. Donc, ce sentiment du « je » était étroitement lié à un sentiment du « nous ».

J'aimerais soulever un autre point au sujet du populisme dans ce pays qui me vient à l'esprit, car on trouve beaucoup d'études sur les croyances populaires qui sont individualistes. Cela amène la question suivante : quelles croyances populistes les gens entretiennent-ils? Ou quelles sont les croyances qu'entretiennent les gens qui sont polarisés? On peut facilement oublier le fait que la polarisation et la montée du populisme trouvent leurs racines dans un contexte institutionnel.

Je crois donc qu'il est important de prendre conscience qu'aux États-Unis, par exemple, les transformations survenues au sein des partis politiques au cours des deux dernières décennies environ ont été très importantes pour comprendre la raison pour laquelle on trouve ce niveau de polarisation alimenté par des croyances et des mouvements populistes.

Je parle des médias, et je ne crois pas que l'on trouve au Canada une chaîne qui ressemble à Fox News. L'un des aspects importants au sujet de Fox News, l'une des raisons pour lesquelles la chaîne a, selon moi, joué un rôle si important dans la montée de la droite populiste, réside dans le fait que ses commentateurs ne faisaient pas que commenter les dernières actualités : ils disaient aussi à leurs auditeurs comment interpréter les nouvelles générales. Donc, au début de chaque émission, les commentateurs de nouvelles parlaient d'un article paru dans le New York Times, ou le Washington Post. Et ils expliquaient pourquoi les auditeurs ne devaient pas les croire. On assistait à un genre d'enseignement, de fonction pédagogique. Cette situation a eu entre autres conséquences, à mon avis, d'instiller la méfiance à l'égard des médias traditionnels chez les Américains. Chez les républicains, le niveau de méfiance à l'égard des médias traditionnels atteint son plus bas niveau jamais atteint, un niveau qui n'a jamais été aussi faible.

J'avancerais simplement que lorsque nous pensons à la montée du populisme au Canada et des menaces que celui-ci pose, nous pensons aux institutions qui alimentent ces idées politiques. Il faut donc se demander s'il existe des façons de structurer nos institutions afin d'assurer un meilleur équilibre.

Si les journalistes américains étaient en mesure de respecter un genre d'engagement professionnel à l'égard de l'objectivité et de l'équilibre, le niveau de confiance à l'égard des médias et à l'égard de la politique en général serait beaucoup moins élevé.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Allez-y. Bien sûr.

Ron Levi : Me permettez-vous d'inverser les rôles? Je suis pratiquement certain que vous êtes le seul parmi nous trois à avoir travaillé au gouvernement. J'aimerais donc savoir comment l'on perçoit cette question de l'intérieur du gouvernement.

Daniel Jean : Ah? La question?

Ron Levi : La question de la fracture sociale, oui.

[Daniel Jean apparaît à l'écran]

Daniel Jean : En ce qui concerne la question de la fracture sociale, on constate une érosion des institutions économiques au Canada. Je ne crois pas que nous ayons affaire au genre de polarisation que l'on voit aux États-Unis, mais je crois sans aucun doute que l'on croit fortement que nous l'avons constatée.

On croit que cette polarisation se fait sentir sur le quatrième pilier, très important, celui des médias bien sûr. Le fait que la nouvelle réalité, peut-être à cause des médias sociaux ou peut-être à cause des facteurs de confiance qui ont été touchés. Les gens ont tendance à souhaiter lire ce qu'ils croient, plutôt que de lire des choses qui pourraient en fait influencer leurs opinions, leurs réflexions, ce qui rend l'interaction entre les politiques publiques, le gouvernement et le citoyen beaucoup plus difficile. Je crois que c'est très important.

Laissez-moi vous donner un exemple lié à la sécurité nationale. Lorsqu'il y a eu ingérence étrangère lors des élections américaines, en 2016, nous mettions en garde contre le fait que les Russes pouvaient faire de la désinformation depuis un certain temps, parce que nous avions vu ce qu'ils avaient dans le contexte du sport, comme aux Jeux olympiques et lors de l'attaque contre l'Agence mondiale antidopage. Ce qui est intéressant, cependant, lorsque ces événements se sont produits, rien ne vaut une étude de cas pour susciter l'intérêt de chacun, des politiciens aux fonctionnaires, et tous se concentraient sur les élections. Et bon nombre d'entre nous, bon nombre d'entre nous qui ont travaillé dans divers domaines au gouvernement du Canada nous sommes dit qu'il ne s'agissait pas de la menace la plus grave pour le Canada. Notre système électoral est très solide, très indépendant, très différent du système américain, mais nous sommes très préoccupés par l'influence qu'une campagne d'ingérence étrangère, du genre de celles que les Russes pourraient mener, pourrait avoir sur la polarisation du pays sur des questions comme la différence entre l'ouest et l'est, les questions touchant l'identité du Québec, et d'autres sujets semblables. Je crois que c'est là que réside le défi pour la fonction publique actuellement, dans un monde où la confiance à l'égard des institutions publiques s'est érodée : comment trouver des façons de présenter des politiques qui favorisent le genre de coopération dont Francesca a parlé dans son allocution d'introduction, alors que la mobilisation utile est entravée par un si grand nombre d'obstacles? C'est ce que j'en pense.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Ron Levi : C'est vraiment intéressant. J'aimerais seulement revenir au point soulevé par Francesca sur le contexte, d'une certaine façon. Le domaine des médias, dans lequel je ne suis aucunement un expert, me semble relativement important ici. La dynamique compétitive dans ce domaine afin de vendre <rires>; on trouve aussi cet article récent paru la semaine dernière ou il y a deux semaines peut-être de Petter Törnberg, dans le cadre de la procédure de la National Academy, dans lequel il montre, et je n'arrive pas à me souvenir s'il s'agit de Twitter ou d'un autre média social, où il montre que ce n'est pas en fait la chambre d'écho qui mène à la polarisation, mais plutôt le fait d'être confronté à des opinions radicalement différentes de ce que vous êtes habitué à voir. Donc, en fait, nous sommes exposés à différentes opinions tous les jours, mais dans un certain intervalle de confiance; il s'agit d'opinions relativement différentes des miennes.

En fait, avec les médias sociaux, il ne s'agit pas tant de ce que je suis le seul à entendre; j'entends aussi des opinions qui sont, à mon avis, tout simplement bizarres et avec lesquelles un grand nombre de personnes sont d'accord. Et, comme le donne à penser l'article de M. Törnberg, c'est ce qui mène au genre de polarisation plus que la chambre d'écho. C'est le fait d'être confronté à des opinions radicalement diverses qui semblent avoir une certaine stabilité. Donc, nous examinons cette question même, Daniel, de savoir dans quelle mesure il s'agit des médias, du genre de médias organisationnels, de médias institutionnels ou des médias sociaux. La différence entre la bulle et la différence radicale, à mon avis, est si essentielle à ce dont parle Francesca, et à notre capacité de coopérer.

Francesca Polletta : Pardonnez-moi, puis-je intervenir? Il s'agit selon moi d'un point si important. Christopher Bail est un sociologue américain qui a montré que le fait d'exposer les gens à des opinons contraires dans les médias en ligne

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : tend à accroître la polarisation au lieu de la réduire. Cela a toujours été l'espoir démocratique, de revoir nos opinions lorsque nous sommes confrontés à des points de vue différents des nôtres. Nous devenons conscients de compromis que nous n'avions peut-être pas vus, nous devenons conscients de solutions de rechange que nous n'avions peut-être pas vues. Mais cela n'est plus le cas.

Je vous aussi rappeler que quand je lisais le journal, dans ma jeunesse, je savais que la nouvelle la plus importante était située dans le coin supérieur droit. Je pouvais compter sur l'éditeur pour me dire, en tant que membre du public, qu'il s'agissait de la nouvelle à la laquelle je devais porter attention pour être un membre du public bien informé.

Cela pose une panoplie de problèmes. Ce qui est le plus important de l'avis de l'éditeur n'est pas nécessairement ce qui est le plus important, mais il existait certaines habitudes communes de déterminer à quelles nouvelles nous devions porter attention et à quelles nouvelles nous devons faire confiance, ce que l'on ne voit pas dans les médias sociaux. Ces directives n'existent pas. Les nouvelles auxquelles nous sommes exposés sont celles que nous avons aimées auparavant. Les nouvelles auxquelles nous sommes exposées sont celles dont nous cliquerons sans doute sur le titre parce qu'il est provocateur.

En retour, cela définit donc les genres de discussions que nous avons en tant que nation. Les genres de délibérations, de partages d'opinions auxquels nous participons.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : C'est un point très intéressant. Ron, je dois avouer que j'ai aimé vous entendre expliquer comment le fait de lire un très grand nombre de commentaires qui vous mettent en furie ne fait que vous fâcher davantage, parce que ma réaction en tant que personne plus âgée à un média social, particulièrement Twitter, je le vois comme le bon vieux perron de l'église de ma jeunesse, qui offre le potentiel de communiquer des renseignements très importants à un certain nombre de personnes, mais qui peut aussi devenir la tribune pour certaines des pires tragédies humaines, les potins. C'est intéressant, parce que vous dites essentiellement que les gens qui sont exposés dans le monde numérique, où [inaudible] devient encore moins enclin à écouter. C'est donc un point intéressant.

Francesca, nous avons une question intéressante à vous poser, parce que vous parlez de la façon dont la migration ouverte au Canada, comme vous le savez, pourrait avoir réuni les conditions propices à la coopération, entre autres, dans votre exposé, mais l'un des participants du public dit que les immigrants proviennent parfois de différents endroits où les pays peuvent être en désaccord. Dans certains cas, il peut y avoir des conflits entre ce qu'ils vivent ici et ce qui se passe. Nous le voyons parfois ici dans la diaspora chinoise, entre les personnes qui viennent peut-être de Hong Kong, qui sont beaucoup plus critiques de ce qui se passe sur le continent que les gens qui viennent du continent.

J'aimerais savoir quelles sont vos opinions à ce sujet : en quoi cela se fait-il sentir sur la coopération?

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : À mon avis, c'est exactement pour cela qu'il est important de développer un sens du « nous », du « nous » national. Je dirais que le Canada n'a certainement pas réussi complètement à le faire, mais je crois que vous l'avez fait mieux que nous, c'est-à-dire de développer un sentiment du « nous » qui englobe les différences entre les groupes qui le forment. Afin de raconter l'histoire d'un peuple, il ne suffit pas de combiner tous les récits des personnes qui sont arrivées ici avec leurs conflits; il faut tenter d'intégrer ces récits à une histoire sur la définition de l'identité canadienne.

Cette tâche est, à mon avis, tout simplement essentielle. C'est une tâche culturelle, mais aussi politique, comme nous l'avons indiqué.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Ron?

Ron Levi : Oui, j'ajouterai seulement qu'il s'agit d'une tâche politique, mais pas partisane, ou qu'il n'est pas nécessaire que cela soit une tâche partisane. L'article dont je parlais, qui traite de l'internationalisme et de la façon dont il exploite

[Ron Levi apparaît à l'écran]

Ron Levi : la façon dont l'anti-internationalisme et l'anti-immigration exploitent une volatilité sous-jacente que nous avons découverte de façon empirique. En fait, cela n'est aucunement prédit par le fait que vous ayez voté pour Trump ou pas; cela n'exploite pas, comme Francesca le mentionnait, une volatilité sous-jacente. Et d'autres aspirations pour la nation liées au changement, à de nombreux changements que les gens remettaient en question, n'ont pas exploité cette volatilité. Nous avons constaté que c'est le sentiment d'appartenance et d'exclusion de personnes qui puisait dans la volatilité. L'idée selon laquelle les immigrants n'ont pas leur place et que l'internationalisme, par conséquent, était mauvais pour le pays. Le fait d'avoir des échanges à l'extérieur des frontières du pays était mauvais en soi. Ce sont ces idées qui ont exploité la volatilité.

Donc, le fait que nous n'avons constaté aucune différence partisane dans les tendances de votes à cet égard me dit ce que Francesca dit, c'est-à-dire que les histoires d'inclusion n'ont pas à être partisanes; en fait, elles ne sont pas empiriquement partisanes, mais lorsqu'elles créent une exclusion, elles créent l'exclusion, j'ignore quoi ajouter à cela. Lorsqu'elles créent l'exclusion, elles envoient le message selon lequel certaines personnes sont à leur place tandis que d'autres ne le sont pas, et c'est ce qui semble exploiter des frustrations antérieures au pays.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Bien. Nos panélistes sont bons : ils ont réussi à répondre à deux questions que nous avions reçues de participants dans le clavardage. Nous avons répondu à celle au sujet des tensions possibles dans le pays d'où vous venez, de votre État, et ainsi de suite, mais aussi à une autre, à savoir si nous n'allions pas créer de la division à force de trop mettre l'accent sur les différences. Et, chacun de vous me dit qu'il faut respecter les différences, sans les rendre exclusives. Il faut construire le « nous », comme Francesca l'a dit, n'est‑ce pas?

Ron Levi : Puis-je intervenir et peut-être que Francesca pourra répondre ensuite? En fait, je me meurs d'entendre la réponse de Francesca à cette question, en fait, car je commence des travaux sur la France. Et cela ressemble à la source de cette question. Nous avons des histoires de communautés ethnoculturelles en France qui étaient françaises, bien entendu, et qui ont été colonisées. Pensons à la communauté algérienne, disons, en France. Nous avons donc une histoire et un récit, un récit de l'État

[Ron Levi apparaît à l'écran]

Ron Levi : sur la laïcité, un républicanisme selon lequel chacun est membre de l'État et nous ne voyons pas la couleur ou la différence en ce sens. D'accord? Nous pourrions parler de l'histoire de la France ici, de l'histoire de la France racontée par elle-même. Vous savez, Daniel, vous dites qu'il faut respecter la différence, mais, bien sûr, l'histoire républicaine en France est que la façon de respecter la différence est précisément différente, disons, du récit canadien du multiculturalisme. Cette laïcité est la façon de gérer la différence en créant une seule collectivité. Je m'intéresse beaucoup à cette question, parce qu'à mon avis, elle exige de négocier les souvenirs culturels et collectifs en même temps. Mais j'aimerais savoir ce que vous et Francesca en pensez en fait, quelles sont vos opinions sur la définition de cette façon de créer la différence.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Francesca?

Francesca Polletta : C'est une excellente question et j'ai remarqué qu'un participant a demandé ce qu'il y avait de mal à croire que son pays était le meilleur.

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Rien du tout. Dans le même ordre d'idées, les chercheurs différencient parfois le patriotisme, qui s'entend de l'amour voué à un pays, et ce qu'ils appellent le chauvinisme, qui s'entend aussi de l'amour à l'égard d'un pays, mais aussi d'une tendance à être exclusif, à considérer les autres pays comme inférieurs, à résister à tout genre de collaboration ou de coopération.

C'est très difficile de fixer la limite. Qu'est-ce que le patriotisme et qu'est-ce que le chauvinisme? Comme Daniel l'a mentionné, la question à 64 000 $, c'est de savoir comment maintenir ce sentiment d'unité tout en respectant la différence. Je suggérerais seulement de moins mettre l'accent sur ceux qui sont inclus et ceux qui sont exclus. Nous devons moins mettre l'accent sur les limites. De toute évidence, nous ne pouvons pas laisser entrer tout le monde. Nous ne pouvons pas traiter tout le monde comme un membre égal de la politie, mais nous devons moins mettre l'accent sur les limites qui définissent qui est inclus et qui est exclu, et nous concentrer davantage sur les éléments qui nous unissent. Sur la nature de nos liens.

Et, à cet égard, encore une fois, je crois que vous en avez probablement assez de m'entendre le dire et que vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais je crois que là où le Canada fait mieux que la France est de mettre le travail de négociation à l'avant-plan. Je parle du travail politique quotidien nécessaire pour tenir compte des différences. Au lieu de ce qui est la solution française, d'après ce que je comprends, qui est de dire « voici comment nous définissons le fait d'être Français et cela l'emporte sur toutes les autres compréhensions de l'identité française ». Il s'agit de montrer le travail de la négociation et c'est ce qu'est la démocratie. Je crois qu'il s'agit d'une façon puissante de relever ce défi.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : C'est un très, très bon point Francesca et, pour revenir à votre question, si vous me le demandiez, Ron, je dirais, en vous écoutant aujourd'hui et à la lumière de votre question, si je devais répondre en tant que Québécois qui habite dans la région d'Ottawa, ce qui signifie que je lis la presse francophone et anglophone, je suis toujours frappé de constater à quel point les médias anglophones en général au Canada comprennent mal tout le débat sur la laïcité au Québec.

[Daniel Jean apparaît à l'écran]

Daniel Jean : Cela a beaucoup moins à voir, et je ne suis pas nécessairement d'accord avec toutes les politiques qui ont été édictées, disons-le clairement, comme les symboles religieux, je ne suis pas nécessairement d'accord avec tout cela, mais ce qui me frappe, quand je lis les journaux généraux du Canada qui décrivent ce qui se passe au Québec, c'est de constater à quel point ils ne comprennent pas ce que vous appelez les souvenirs collectifs des Québécois, soit d'avoir été élevés sous l'égide, l'égide très rigoureuse de l'Église catholique, de s'être fait dire de se lancer en affaires parce que c'est ce que font les protestants, entre autres. Et cela a suscité une réaction sociétale immense. Nous ne croyons pas que nous devrions avoir une identité qui ne soit pas fondée sur des éléments religieux, mais elle devrait être fondée sur la langue, sur la culture, sur nos efforts pour vivre ensemble. Le Québec demeure une société très ouverte à l'immigration, mais entretient certaines inquiétudes quant à l'incidence que peut avoir la religion dans le domaine public.

J'ai cette discussion avec beaucoup de migrants qui sont des amis et il est intéressant de constater à quel point peu d'entre eux comprennent l'histoire du Québec dans cette optique : nous avons été si longtemps contrôlés par l'Église catholique et nous avions si peu de liberté.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Ron Levi : Permettez-moi d'ajouter un point. Je suis toujours surpris par le faible niveau de compréhension du Canada anglais à l'égard des politiques françaises de laïcité, qui ignorent aussi ces moments. J'ajouterai seulement qu'il est intéressant que nous ayons cette conversation tous les trois. Permettez-moi de vous parler de ma vie personnelle : je suis le seul membre de ma famille, de ma famille nucléaire, à être né au Canada, d'une famille d'origine égyptienne. Mes deux parents sont nés en Égypte. Nous parlions français, arabe, hébreu et anglais à la maison. Et toute mon histoire, mon expérience vécue dans son ensemble, comme nous le disons, provient des politiques du Québec entourant son concept de nation et de la réflexion sur ce qui était à cette époque le projet de loi 101 et les autres projets par la suite. Donc, Danielle, ces histoires me touchent aussi personnellement, souvent, lorsqu'il est question de la trajectoire d'un individu qui correspond aux récits collectifs.

Daniel Jean : Nous avons une question ici qui porte sur le rôle de l'État et le fait que celui-ci peut avoir différents systèmes politiques en jeu. Elle dit, en ce qui concerne le point de Francesca et de Ron sur le rôle de [inaudible] pour favoriser l'identité nationale et peut-être atténuer la polarisation, au Canada du moins. Je me demande s'il est possible de l'appliquer à l'éventail de systèmes gouvernementaux que nous avons, même si l'on ne trouve que deux partis aux États-Unis par rapport à plusieurs partis au Canada. Qu'en pensez-vous?

Francesca Polletta : Oui, <rire>, oui, absolument. Absolument. Encore une fois, en ce qui concerne le pouvoir des institutions, il est très difficile de voir comment nous pourrions parvenir à des compromis aux États-Unis. Comment pouvons-nous en fait avoir le genre de politique que la majeure partie des Américains veulent?

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Les Américains veulent des restrictions sur la possession d'armes à feu. Dans un Congrès divisé, toutefois, et dans un système politique où les primaires, le recours à l'obstruction systématique et d'autres normes relatives au travail politique, orientent vers la polarisation et les avantages, les incitatifs à la polarisation. C'est très difficile de voir comment nous pourrons avoir les genres de compromis qui permettraient aux citoyens américains, qui s'entendent sur certaines choses, d'avoir les politiques qu'ils veulent.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Ron?

Ron Levi : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à cela. J'ignore comment répondre; Francesca a donné une réponse que je trouve très convaincante. Je dirais que d'autres pays se situent à l'autre extrême de cette ventilation. Un pays comme Israël, où tous les gouvernements sont formés par des coalitions, pourrait être un bon cas de comparaison. Dans les cas où les compromis politiques sont toujours sur la table, la question est donc de savoir dans quelles directions les compromis politiques doivent se diriger afin d'obtenir un nombre suffisant de sièges pour gouverner. Il ne s'agit donc pas d'une réponse, mais plutôt d'une réaction à la réponse très convaincante donnée par Francesca.

Daniel Jean : D'accord. Nous allons répondre à une dernière question du public avant de mettre fin à la séance. Comment expliquons-nous la hausse d'un sentiment plus ethnique et plus exclusif d'identité canadienne? Est-ce à cause de l'influence d'idéologies nationales d'autres pays? Peut-être, notamment, les points de vue et croyances américains, mais le populisme est présent dans de nombreux pays autres que les États-Unis.

[Francesca Polletta apparaît à l'écran]

Francesca Polletta : Je dirai seulement deux choses : Premièrement, je crois que lorsque les chercheurs interrogent les gens sur la façon dont ils comprennent qui ils sont et qu'elle est leur nation, ils obtiennent un éventail assez remarquable de points de vue. La même personne peut définir très différemment ce qu'est l'identité canadienne ou américaine. De façons qui sont plus civiques et plus ethniques.

À mon avis, cela montre que ce genre de diversité de points de vue ne porte pas à croire que nous sommes irrationnels ou incohérents, mais qu'en stimulant certaines de ces croyances, en insistant sur celles-ci, en nous rappelant que oui, nous sommes un pays d'immigrants ou en nous rappelant notre identité nationale civique, nous pouvons encourager les gens à mettre l'accent sur cet aspect d'eux-mêmes. Donc, oui, je crois que nous trouvons les deux conceptions chez la plupart des gens.

Deuxièmement, en ce qui concerne les éléments qui pourraient expliquer la montée de conceptions plus ethniques de l'identité, je suis frappée de voir, dans les recherches-sondages, que le Canada n'est pas un pays qui considère l'immigration comme une crise. Les pays européens la considèrent comme une crise, tout comme les Américains. Et il ne s'agit pas seulement d'une perception des défis avec lesquels votre pays est aux prises, mais de savoir si ces défis atteignent un niveau de crise. C'est cela qui a réellement une incidence sur la façon dont vous déterminez qui doit être inclus dans le cercle du « nous ».

Encore une fois, nous devons porter attention au rôle des politiciens et des médias dans la définition des problèmes qui atteignent le niveau de crise.

Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Merci. Ron?

[Ron Levi apparaît à l'écran]

Ron Levi : Oui. C'est une bonne question de savoir si, de façon empirique, nous avons un sentiment plus exclusif de l'identité canadienne que nous l'avions par le passé. Il serait intéressant de savoir comment en faire le suivi. Oui, c'est une question très intéressante. Je dirais que, même si nous l'étions, supposons simplement que nous le soyons peut-être, il demeure une question de styles nationaux qui importe. Donc, comment pourrais-je le dire? C'est peut-être que les politiques d'exclusivité sont en hausse partout dans certains pays, au Canada et aux États-Unis, par exemple, mais elles ont des saveurs très différentes. Et ces saveurs sont importantes.

Quand la pandémie a commencé, un étudiant, qui est maintenant un collègue, et moi avons fait des recherches sur la façon dont on parlait des fermetures des frontières. Parce que, bien entendu, la plupart des pays avaient fermé leurs frontières en même temps. Nous avons constaté qu'aux États-Unis, les fermetures des frontières étaient justifiées selon certaines raisons. Au Canada, en comparaison, les mêmes politiques étaient justifiées différemment. Au Canada, on mettait souvent l'accent sur l'expertise et sur la science. Or, dans le contexte américain, cela reposait sur l'idée selon laquelle un « nous » devait être isolé de l'extérieur. Nous avons été en mesure de suivre cette idée dans certains discours. Il s'agissait de la même politique, mais qui était justifiée différemment. Et on ne peut pas dire que cette justification est purement symbolique, mais je dirais en fait qu'elle est précisément symbolique. Ce sont précisément ces justifications qui communiquent à la politie la raison pour laquelle ces politiques sont instaurées. Elles racontent une histoire, pour reprendre les termes utilisés par Francesca, au sujet de qui nous sommes et de la raison pour laquelle nous édictons certaines façons de faire et certaines décisions politiques et pas d'autres.

Je crois, quand je me demande si nous sommes devenus plus exclusifs ou pas, que j'explorerais aussi a) le résultat concret, peut-être; et b) la justification et l'histoire à son sujet, qui peuvent être très différentes et exploiter des sentiments de nation très différents et différentes possibilités de solidarité au pays également.

[Daniel Jean, Francesca Polletta et Ron Levi apparaissent à l'écran dans des groupes de conversation vidéo]

Daniel Jean : Merci, Ron. Merci, Francesca. Ce fut une conversation très intéressante. Nous avions un public de plusieurs centaines de participants aujourd'hui et je crois qu'il est si important pour ce public de fonctionnaires, d'avoir cette réflexion sur ce qui favorise la coopération et sur ce qui peut rendre nos démocraties encore plus dynamiques, sur la façon de réunir les conditions pour mobiliser de façon utile le public, les Canadiens, au [inaudible] de nos politiques, et vous avez également dit que l'exécution de ces politiques est aussi très importante et fondamentale.

[Daniel Jean apparaît à l'écran. Le texte suivant s'affiche : « Browse the Learning Catalogue! It includes courses, events and other learning tools; Visit Canada.ca/School; Consultez le catalogue d'apprentissage!; Il vous propose des cours, des événements et des outils d'apprentissage »; Visitez Canada.ca/Ecole]

Daniel Jean : Je vous suis très reconnaissant, au nom de l'École de la fonction publique du Canada d'avoir passé du temps avec nous aujourd'hui. Francesca, vous serez pile à l'heure pour votre séminaire. Ron, j'ai été heureux de vous voir. Je vous remercie tous les deux. Je remercie également le public. Je vous rappelle que la prochaine séance de la série L'avenir de la démocratie sera le quatrième événement, intitulé les Sept C de l'élaboration de politiques, et se tiendra le 24 novembre 2022, et je vous invite à consulter le site Web de l'EFPC, l'École de la fonction publique du Canada, pour en savoir plus. Et comme il portera sur l'élaboration de politiques, je dirais que Ron vous a servi un bon apéritif pour cette prochaine séance. Merci, thank you. Je vous souhaite une bonne journée.

[Transition vidéo au logo de l'EFPC]

[Le logo du gouvernement du Canada s'affiche et s'estompe pour faire place à un écran noir]

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